Interview du ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias, au journal « REAL NEWS » et à George Siadimas (03.10.2021)

JOURNALISTE : L'accord de coopération en matière de défense entre la Grèce et la France a été annoncé à Paris. Que signifie cette coopération ?

N. DENDIAS : L'accord que j'ai signé avec le ministre de la Défense nationale, Nikos Panagiotopoulos, en présence du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis et du Président Emmanuel Macron, est un accord de partenariat stratégique plus élargi couvrant la coopération en matière de politique étrangère.

C'est l'aboutissement de près de deux ans d'efforts collectifs sous la direction du Premier ministre. Je suis ravi de la contribution que j'y ai apportée.

Je dois dire que cet effort s’est heurté à de nombreuses difficultés. La logique sous-jacente, lorsque nous avons entamé des discussions avec le ministre français des Affaires étrangères J. Y. Le Drian, était évidente. L'acquisition de systèmes d'armes doit également évoluer dans le cadre d'une compréhension politique des défis communs que ces systèmes et les personnes qui les utilisent sont appelés à relever.

Je pense qu'il s'agit d'un accord extrêmement important qui pourrait s'avérer historique.
Et ce, pour trois raisons principales.
Premièrement, il protège la Grèce, qui aura désormais à ses côtés la plus grande puissance militaire de l'Union européenne, sur la base d'une relation contractuelle bilatérale. Et la seule puissance nucléaire, ne l'oublions pas.

Cet accord renforce le partenariat stratégique que j'ai signé l'année dernière avec les Émirats arabes unis.

Pour notre pays, qui est sous la menace constante d'une guerre de la part de la Turquie, le fameux casus belli, s'il exerce ses droits légaux, le soutien à la défense que la France vient nous apporter, après les Émirats arabes unis, crée un nouveau contexte.

Permettez-moi toutefois de souligner, afin d'éviter tout malentendu, le caractère absolument défensif de cet accord.

La Grèce ne mène pas une politique aventuriste. Mais elle n'acceptera pas non plus de renoncer à ses droits souverains.

Deuxièmement, l'accord crée la base pour renforcer la promotion des positions grecques au niveau international, grâce à l'étroite coordination envisagée entre les deux pays.

Troisièmement, il s'agit d'une contribution importante au renforcement de la défense européenne et de l’entente européenne, objectifs que la Grèce a toujours soutenus.

JOURNALISTE : Comment les Etats-Unis ont-ils accueilli l'accord ? A la mi-octobre, vous vous rendrez à Washington pour signer le nouvel accord de coopération en matière de défense mutuelle. Nos demandes seront-elles affectées par l'accord avec la France ?

N. DENDIAS : Nous avons été très heureux des commentaires positifs des États-Unis.  Je ne vous cacherai pas que j'avais veillé, en consultation avec le Premier ministre, à tenir la partie américaine informée.  Après tout, nos relations sont excellentes. Vous vous souviendrez que j'ai eu une réunion privée avec la secrétaire d'État aux Affaires étrangères, Victoria Nuland, à New York et avec l'ambassadeur des États-Unis, Jeffrey Pyatt, dès mon retour.

Quant à ma visite à Washington, j'espère que les discussions seront conclues et que l'amendement à l'accord de coopération en matière de défense mutuelle sera signé au cours de la visite.

L'accord modifié et élargi sera la preuve du renforcement de la relation stratégique avec les États-Unis, deux ans après la signature du premier amendement par moi-même et mon homologue américain à l'époque, Mike Pompeo, à Athènes.

Il convient de noter que la négociation a lieu à un moment où les États-Unis déplacent leur attention et le poids de leur présence vers le Pacifique.

Cet accord devrait consolider la présence militaire américaine sur le territoire grec. Permettez-moi de souligner qu'il existe un bon nombre de pays qui supplient littéralement les États-Unis de déployer des forces sur leur territoire. Et ils sont même prêts à en supporter le coût.  

L'accord sera également une contribution importante à la coopération bilatérale globale entre la Grèce et les États-Unis. Nos relations vont bien au-delà de la coopération purement militaire.

Notre dialogue stratégique couvre des domaines très importants, tels que l'énergie, notamment en Méditerranée orientale, la gestion des conséquences de la crise migratoire et des réfugiés, la lutte contre le terrorisme, etc.

Le rôle du Congrès américain doit également être souligné. Je soulignerai le rôle crucial du président de la commission des affaires étrangères du Sénat, Robert Menendez, que j'ai rencontré à Athènes il y a quelques semaines.

La loi de 2019 sur la Méditerranée orientale a servi de catalyseur pour l'imposition de sanctions sur la vente d'armes à la Turquie, ainsi que pour la levée de l'embargo sur les armes à Chypre.

Le projet de loi sur la coopération bilatérale en matière de défense, qui devrait être adopté d'ici la fin de l'année, est tout aussi important et complémentaire à l’accord MDCA. Il contient des dispositions relatives au transfert d'équipements militaires américains à la Grèce, à notre participation au programme F-35 et au renforcement de la coopération multilatérale en Méditerranée orientale, avec la participation des États-Unis au partenariat Grèce-Chypre-Israël.

En ce qui concerne la France, permettez-moi de souligner que la France, comme les États-Unis, est notre allié et notre partenaire stratégique. Le renforcement des liens avec les deux pays n'est pas de caractère concurrentiel. Loin de là. Il est complémentaire et va dans le sens des intérêts nationaux de nos pays.

JOURNALISTE : L'accord Grèce-France peut-il être le début de la création d'une armée européenne ? Une telle possibilité affecte-t-elle les relations avec l'OTAN ?

N. DENDIAS : L'accord avec la France contribue au développement des capacités militaires européennes et au renforcement de la défense européenne.

Il s'agit d'un petit pas mais d’un pas nécessaire vers la maturation de la défense européenne, qui constitue à son tour un pilier essentiel de l'Union politique européenne.

Ces évolutions affectent bien sûr aussi l'OTAN. De manière positive, car elles répondent à la demande américaine de longue date d'un meilleur partage des charges en matière de défense, mais aussi par la création progressive d'un bras européen au sein de l'Alliance atlantique.

Il est vrai que le chemin est encore long avant la création d'une armée européenne supranationale, qui sera chargée de protéger l'intégrité territoriale et la souveraineté du territoire européen, mais aussi de gérer les crises dans notre région élargie.

JOURNALISTE : Lors de vos récents contacts à New York, vous avez affirmé que la Turquie est désormais sortie du cadre de la raison. Qu'est-ce que vous entendez par cela ?   

N. DENDIAS : Les actions turques sont totalement inacceptables, elles violent toute notion de droit international et de bon sens.
Il n'y a pas d'autre façon de décrire le harcèlement d'un navire de recherche, qui se trouvait dans la zone économique exclusive délimitée de la Grèce, à 10 miles nautiques à l'est de la Crète, en prétendant que cet endroit faisait partie du plateau continental turc.

En outre, la partie turque, pour justifier sa position inacceptable, a invoqué un mémorandum, le mémorandum turco-libyen, qui, de l'avis général, est illégal, nul et non avenu, et sans fondement.

Dans d'autres circonstances, nous pourrions dire que cette action était dérisoire. Mais malheureusement, c'était extrêmement dangereuse. Et certainement condamnable.

Lors de la dernière réunion avec mes homologues européens, je leur ai montré sur la carte l’endroit où le Nautical Geo a été harcelé. Entre la Crète et Kasos.

Comme on dit, une image vaut mille mots. Même nos partenaires les plus sceptiques, ceux qui font preuve de tolérance envers les actions turques, ont été stupéfaits. Ils ne pouvaient même pas prononcer un seul mot. Parce que, tout simplement, il n'y a rien, pas même le moindre, qui justifie un tel comportement.

JOURNALISTE : Malgré le climat tendu, nous aurons des entretiens exploratoires en octobre. Qu'en pensez-vous ?   

N. DENDIAS : Le 63ème round des contacts exploratoires aura lieu dans quelques jours, le 6 octobre, cette fois à Ankara. Malgré le climat de tension que la Turquie continue d'entretenir, nous estimons qu'il convient de maintenir des canaux de communication ouverts.

Mais nous ne nous faisons pas d'illusions. Nous ne nous attendons pas à ce que ces contacts informels débouchent sur quoi que ce soit, car, malheureusement, il ne semble y avoir aucun terrain d’entente raisonnable avec la Turquie, du moins pour le moment. Non pas parce que la solution à la question qui est examinée, à savoir la délimitation du plateau continental en mer Égée et en Méditerranée orientale, n'est pas possible, mais parce que la Turquie n'accepte pas les règles fondamentales énoncées dans la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

Mais, une fois encore, je dis que nous aurions préféré être démentis.

Nous avons toujours, au fil du temps, tous les gouvernements, ont toujours préconisé un accord avec la Turquie conformément aux dispositions du droit international et du droit de la mer.

Nous pensons que cela est dans notre intérêt, dans l'intérêt de la Turquie, mais c’est aussi la volonté d'une grande partie de la société turque, qui considère l'Europe comme son espace naturel et culturel.

October 3, 2021