Interview du ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias, à la chaîne WION (samedi, 10 juillet 2021)

Interview du ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias, à la chaîne WION (samedi, 10 juillet 2021)Propos recueillis par le journaliste, Sidhant Sibal  

JOURNALISTE : Quels ont été les principaux dossiers abordés lors de votre rencontre avec le ministre des Affaires étrangères de l'Inde ? Cela fait 18 ans qu'un ministre indien des Affaires étrangères ne s'est pas rendu en Grèce. Quel a été le principal résultat en termes de renforcement des liens entre l'Inde et la Grèce ?


N.DENDIAS : Précisément comme vous l'avez mentionné, c'était la première visite d'un ministre indien des Affaires étrangères à Athènes depuis presque deux décennies. Cette visite était attendue depuis longtemps. Et je me réjouis de visiter New Delhi dans un avenir proche.

À première vue, la Grèce et l'Inde peuvent sembler avoir peu en commun. L'Inde est une puissance mondiale émergente, avec près de 1,4 milliard d'habitants. La Grèce compte près de 11 millions d'habitants. Géographiquement, nous sommes très éloignés.

Toutefois, une telle approche est superficielle et ne tient pas compte de nombreuses choses qui nous unissent.


La Grèce est le berceau de la démocratie. L'Inde est la plus grande démocratie du monde. Les deux pays partagent les mêmes principes. Le respect du droit international, y compris la convention des Nations unies sur le droit de la mer, la résolution pacifique des différends, ainsi que la non-ingérence dans les affaires intérieures d'autres États.

Au cours de nos discussions, nous avons abordé les principaux développements internationaux. Mais nous avons également abordé la nécessité de renforcer nos liens bilatéraux. Grâce à un dialogue politique régulier, ainsi qu'à des contacts entre les peuples, notamment dans les domaines du commerce et de la culture. Notre objectif est de développer un partenariat stratégique qui reflétera le niveau de nos relations bilatérales.

Nous travaillerons ensemble dans les mois à venir, afin de finaliser une série d'accords qui, malheureusement, sont en suspens depuis des années.

Permettez-moi d'ajouter une autre dimension importante : La Grèce, en tant qu'État membre de l'UE, a la capacité de servir de pont entre l'Union européenne et l'Inde. À cet égard, nous soutenons pleinement le renforcement des relations entre l'UE et l'Inde.
Enfin, la visite de mon homologue, Dr Jaishankar, a été l'occasion d'inaugurer à Athènes la statue d'une grande figure du 20e siècle, de Mahatma Gandhi.


JOURNALISTE : Vous avez adhéré à l'Alliance solaire internationale. Comment voyez-vous cette alliance à une époque où le changement climatique est la plus grande préoccupation ?

N. DENDIAS : Il s'agit d'une initiative très importante entreprise par le Premier ministre indien Modi, avec le président français Hollande, qui aidera à relever le plus grand défi mondial auquel notre planète est confrontée, à savoir le changement climatique. Nous saluons cette initiative et nous sommes très heureux de nous y être associés.


Le gouvernement, sous la direction du Premier ministre Mitsotakis, prend une série d'initiatives afin de réduire notre dépendance aux combustibles fossiles et d'accroître l'utilisation des sources d'énergie renouvelables. La Grèce, qui est un pays béni par le soleil, a le potentiel pour tirer parti de l'énergie solaire. À cet égard, notre participation à l'Alliance solaire nous aidera à atteindre nos objectifs.

JOURNALISTE : Vous avez tous les deux parlé de la réforme de l'ONU. Pensez-vous qu’il y ait une chance compte tenu de la résistance de certains pays comme la Chine ? De même, votre voisin la Turquie, qui fait partie de ce que l’on appelle le « Coffee Club » (avec le Pakistan) s'oppose à la candidature de l'Inde.

N. DENDIAS : La Grèce est en faveur de la réforme de l'ONU, y compris l'élargissement du Conseil de sécurité de l'ONU, ainsi que d'autres institutions multilatérales, afin de les rendre plus inclusives, transparentes, responsables et de refléter les réalités géopolitiques d'aujourd'hui.

Permettez-moi de saisir cette occasion pour saluer la participation de l'Inde au Conseil de sécurité, où elle siège depuis le mois de janvier de cette année et qu'elle présidera dans quelques semaines. Permettez-moi également de souligner que la Grèce a également présenté sa candidature à un siège non permanent pour la période 2025-26. Le soutien de l'Inde à notre candidature sera d'une importance capitale.  


JOURNALISTE : Vous avez discuté de la Méditerranée orientale, de Chypre et de la Libye. Pouvez-vous nous donner plus de précisions sur ces discussions ?

N. DENDIAS : J'ai saisi l'occasion pour informer mon homologue des développements dans le voisinage de la Grèce. Géographiquement parlant, cette région peut être éloignée de l'Inde. Cependant, dans un monde globalisé, dans lequel l'Inde joue un rôle de plus en plus important, les distances se réduisent. J'ai donc souligné que ce qui se passe dans cette partie du monde a des répercussions dans d'autres parties du monde.

J'ai souligné que la poursuite de politiques agressives et révisionnistes par un État particulier déstabilise non seulement le voisinage immédiat, mais aussi la région élargie. J'ai également souligné que l'État en question utilise les affinités religieuses dans sa tentative de faire revivre le rêve de l’Empire. Ou plutôt, les fantômes du passé.

J'ai également salué la contribution de l'Inde à la force de maintien de la paix des Nations unies à Chypre, ainsi que les efforts déployés par l'Inde, en tant que leader du mouvement des non-alignés, pour parvenir à une solution juste et durable à la question chypriote, conformément aux dispositions des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations unies, c’est-à-dire une fédération bizonale et bicommunautaire.

En outre, des possibilités de nouveaux partenariats apparaissent. Et nous voulons que l'Inde y participe activement. Nous avons développé un partenariat stratégique avec les Émirats arabes unis. Et nous sommes impatients d'établir un dialogue trilatéral dans un avenir proche.

JOURNALISTE : Dans quelle mesure la question de la Turquie a été discutée avec votre homologue de l'Inde. Quelle a été la réponse de l'Inde ?

N. DENDIAS : Laissez-moi commencer par votre deuxième question. Je ne peux pas parler au nom de l'Inde.


Cependant, de mon côté, en plus de souligner les ambitions de la Turquie dans la région, ainsi que son comportement à l'égard de presque tous ses voisins, il est nécessaire de souligner deux points qui devraient également préoccuper l'Inde.

Premièrement, la Turquie tente d'établir une présence militaire permanente dans de nombreux pays. Cela pourrait être un facteur de déstabilisation.

Deuxièmement, la Turquie joue de plus en plus la carte religieuse pour faire avancer son agenda géopolitique. Nous en avons vu des exemples dans notre voisinage immédiat, dans les Balkans et en Méditerranée orientale, mais aussi de plus en plus dans d'autres parties du monde. Surtout en Afrique, en particulier en Afrique de l'Est. C'est une tendance inquiétante.



JOURNALISTE : Dans quelle mesure pensez-vous que la Turquie constitue un souci pour vous dans la région. Et dans quelle mesure pensez-vous que l'Inde peut être un allié dans le cadre de ce rapprochement entre New Delhi et Athènes ?

N. DENDIAS : Le plus grand défi que la Turquie pose, non seulement à la Grèce, mais à toute la région, est qu'elle ne respecte pas les principes fondamentaux du droit international, y compris les dispositions fondamentales de la Charte des Nations Unies. Elle menace la Grèce de guerre si celle-ci exerce ses droits souverains qui lui sont inhérents. En outre, la Turquie refuse d'aborder la seule question bilatérale qu'elle a avec la Grèce sur la base du droit international. Le problème n'est pas la Turquie en tant que pays. C'est le fait que la Turquie refuse de se conformer aux règles définies et acceptées par la communauté internationale.


À cet égard, l'Inde, un pays qui respecte ces règles, peut jouer un rôle majeur au niveau international.

JOURNALISTE : Comment voyez-vous la vision indo-pacifique ? Le communiqué de presse conjoint mentionne ce terme.

N. DENDIAS : La Grèce est une nation maritime. Et nous défendons des principes fondamentaux tels que la liberté de navigation et le respect du droit international de la mer.

Dans ce contexte, nous apprécions grandement le fait que la réunion des dirigeants du Quad (dirigeants des quatre pays fondateurs du Dialogue de sécurité quadrilatéral/Quad) qui s'est tenue, en ligne, il y a quelques mois, ait souligné ces principes, qui ont à leur tour été spécifiquement mentionnés dans le communiqué.


Permettez-moi de conclure en soulignant un autre point : l'Inde a conclu des accords avec presque tous ses voisins sur la délimitation des zones économiques exclusives sur la base du droit international. Dans un cas, avec le Bangladesh, l'Inde a saisi la Cour internationale de justice de cette question. Cela reflète exactement la position de la Grèce sur la question.

Un seul des voisins de l'Inde refuse encore de se conformer à ces principes. La Grèce est confrontée à une situation similaire, où un seul voisin refuse de respecter les mêmes règles.

July 10, 2021