Propos recueillis par le journaliste Nikos Chatzinikolaou
JOURNALISTE : Allons maintenant dire bonjour au ministre des Affaires étrangères, M. Nikos Dendias. Monsieur le ministre bonjour.
N. DENDIAS : Bonjour, M. Chatzinikolaou. Bonjour aussi à vos auditeurs en cette belle journée ensoleillée d’automne.
JOURNALISTE : Nous sommes à la fin du mois de novembre, il fait 20 degrés et plein soleil. Abordons maintenant la question migratoire et des réfugiés.
N. DENDIAS : Fini le soleil.
JOURNALISTE : Oui, fini le soleil. Alors ma question est la suivante monsieur le ministre : Pourquoi l’Europe se comporte-t-elle d’une manière aussi hypocrite ? Et comment pourrait notre pays revendiquer la solidarité des partenaires européens ?
N. DENDIAS : Tout d’abord, parce que de nombreux pays donnent priorité à leurs propres problèmes et pas aux problèmes des autres, et je pense que ce comportement n’a rien d’inhabituel…
JOURNALISTE : On le comprend bien.
N. DENDIAS : C’est de l’égoïsme. Ce que nous faisons, dans la mesure de nos moyens, et je pense que le Premier ministre à Zagreb a fait la même chose et ce avec un grand succès, est de les mettre devant un miroir pour leur montrer quelle est la réalité afin de mettre fin à cette histoire.
Car c’est très facile à faire semblant de ne pas comprendre un problème, mais la réalité est qu’il s’agit d’un problème paneuropéen.
Et ce problème n’influe pas seulement sur les sociétés, mais aussi sur la vie politique, la culture, tout. Une réponse paneuropéenne doit être donnée. Il faut changer le règlement de Dublin II, il faut aller vers un nouveau processus convenu, vers un régime d’asile unique, une pratique convenue pour la protection des frontières européennes.
Et ce non pas pour ériger des murs mais pour pouvoir aider ces personnes qui veulent venir en Europe à le faire décemment et en toute légalité. Et, bien évidemment, dans la mesure où les sociétés d’accueil pourront supporter cette situation. Sinon, on ne peut rien faire. Nous ne pouvons pas accueillir tout le monde. Que pouvons-nous faire ? Même si on le voulait, cela serait au-dessus de nos moyens.
JOURNALISTE : Comment pourrait la Grèce, un pays aussi petit, exercer des pressions sur Bruxelles et Berlin pour que ces derniers changent d’attitude ?
N. DENDIAS : Tout d’abord, nous ne sommes pas seuls devant ce problème. Nous pouvons forger des alliances. Nous avons déjà mis en place une alliance avec Chypre et Malte. L’Italie a quelques difficultés à cet égard. Il faut travailler là-dessus.
JOURNALISTE : L’Espagne aussi.
N. DENDIAS : L’Espagne vient d’être dotée d’un nouveau gouvernement. C’est depuis très longtemps que je veux aller en Espagne, mais je n’ai pas d’interlocuteur. Je me suis entretenu deux fois avec le ministre italien, nous sommes arrivés à certaines conclusions. Après un autre ministre lui a succédé à la tête de la diplomatie italienne. Vous savez, nous devons faire face à un environnement en constante évolution. Les Portugais font preuve de compréhension lorsqu’on les approche. La semaine prochaine je m’entretiendrai avec le ministre des Pays-Bas à Athènes. Nous avons une manière similaire de voir les choses à l’égard de nombreuses questions, en dépit du fait que ce pays fasse partie d’une autre région géographique de l’Union européenne.
Nous pouvons donc former petit à petit, mais cela requiert de l’effort, une alliance des Européens responsables, car c’est ainsi que je l’appelle, une alliance qui pourra véritablement conduire l’Union européenne à adopter une autre approche. Est-ce que cela est facile ? Non. Cela ne sera pas fait du jour au lendemain. Je veux être sincère à cet égard. Non.
JOURNALISTE : De toute façon monsieur le ministre, cette question tout comme la solidarité limitée de l’Europe vers le Sud européen au cours de la période marquée par la grave crise économique, pourraient saper les fondements de l’UE.
N. DENDIAS : Vous avez raison. Vous avez tout à fait raison. Lorsqu’on dit que nous allons dans le sens de l’intégration européenne ou de la fédéralisation, ou, pour le dire d’une façon plus simple, lorsque nous affirmons notre volonté de devenir plutôt une famille au lieu d’un marché, on ne peut pas se comporter de cette façon car ce comportement ne convient pas à un membre d’une famille élargie. Il ne faut pas se leurrer.
Et puisque vous avez parlé de l’Espagne, je veux vous dire que l’Espagne met à la disposition de la Turquie du savoir-faire pour fabriquer des porte-avions.
Est-ce que cela est un comportement solidaire ? L’Allemagne fournit des sous-marins à la Turquie. Est-ce que cela est un comportement solidaire ? Je ne parle pas d’un équipement peu sophistiqué, je parle des armements importants qui peuvent changer la donne.
On doit, à mon avis, si l’on veut survivre sur cette planète des superpuissances en tant qu’entité distincte, développer ce sentiment d’appartenance à une famille. Cela prendra du temps, mais nous, avec nos moyens et capacités limités, devrons faire des efforts dans ce sens.
JOURNALISTE : Puisque vous avez parlé de la Turquie, je voudrais que nous abordions nos relations avec cette dernière.
N. DENDIAS : Un autre dossier facile !
JOURNALISTE : Oui, c’est un dossier facile ! Où en est-on ? Pourriez-vous nous donner un aperçu de la situation actuelle ?
N. DENDIAS : Tout d’abord, l’attitude elle-même de la Turquie à l’égard de la question chypriote, même si cette question n’est pas bilatérale, empoisonne les relations gréco-turques pour parler franc. Nous ne sommes pas indifférents à l’égard de ce qui se passe à Chypre.
Cela dit, son attitude aussi à l’égard de la question migratoire qui n’est pas une question bilatérale, il faut que nous soyons clairs – je discute de cette question avec Cavusoglu mais pas dans le cadre de l’agenda gréco-turc – est une autre question.
Mais aussi, son comportement infractionnel en Egée crée des problèmes. Toutefois, nous leur avons signalé de manière claire que nous chercherions à promouvoir le dialogue. Nous ne cessons pas d’espérer qu’une solution sera trouvée. La Turquie est notre voisin. Elle sera toujours là. On ne peut pas changer de voisin. On ne va pas déménager au Luxembourg. Par conséquent, on doit s’employer avec persévérance et sérieux à parvenir à des solutions.
Mais, bien évidemment, ces solutions doivent être intégrées dans notre cadre de valeurs et en fonction de la protection de nos intérêts nationaux.
Toutefois, à mon avis, l’espoir est encore permis. J’espère que la société turque comprendra tout comme les dirigeants du pays que l’avenir du pays ne peut pas être dans le cadre d’un comportement moyen-oriental. Cela ne conduit nulle part. Cela n’est pas dans l’intérêt de la Turquie. Mettons à part nos différends, cela n’est pas bon pour la Turquie elle-même.
Ce que la Grèce peut offrir à la Turquie, c’est-à-dire la Grèce peut aider la Turquie à se rapprocher du modèle européen et d’un avenir européen, est très important et précieux et j’espère que la Turquie en comprendra l’importance.
JOURNALISTE : Parlons maintenant de nos voisins au nord. Quelle incidence a eu le gel des négociations d’adhésion des deux pays suite au veto de Macron sur nos relations avec nos voisins au nord ?
N. DENDIAS : Il ne faut pas se leurrer. Cela a créé d’énormes problèmes à l’intérieur des deux pays ainsi qu’en termes de stabilité pour les deux gouvernements, tant de la Macédoine du Nord que de l’Albanie. Plus pour le gouvernement de la Macédoine du Nord.
Quelle est notre position à cet égard ? Notre position est d’abord que cela est dans l’intérêt de l’Europe, c’est-à-dire l’élargissement, et dans l’intérêt de la Grèce. Mais un élargissement sans concessions, dans la mesure où ces pays se rapprochent de l’acquis communautaire. S’ils font fait cela, nos problèmes bilatéraux seront réglés.
Ce processus réglera automatiquement nos problèmes bilatéraux. Par conséquent, nous le soutenons pour deux raisons. Premièrement, cela est bon pour l’Europe et nous sommes des Européens. Et, deuxièmement, cela est bon pour la Grèce et pour ces pays.
Je ne peux pas vous dire avec certitude que nous y parviendrons. Je ne suis pas certain que nous puissions changer la politique française à cet égard.
Toutefois, nous essayerons. Le Premier ministre consent bien des efforts dans ce sens. Je me suis de nouveau entretenu avec Dimitrov avant-hier, et j’irai encore une fois à Skopje mardi prochain. Je m’entretiendrai la semaine prochaine à Athènes avec le ministre des Pays-Bas, pays qui figure parmi les pays qui ont dit non à l’ouverture des négociations.
J’envisage de me rendre à Copenhague. On aura de nouveau une rencontre avec les Français. J’ai rencontré Le Drian avant-hier à Bruxelles, à l’OTAN. Nous faisons tout ce que nous pouvons selon nos moyens.
JOURNALISTE : Monsieur le ministre, est-ce qu’on a là une opportunité historique pour « remédier » à certaines faiblesses et points épineux de l’accord de Prespa ?
N. DENDIAS : Certainement. Mais cela sera fait une fois qu’une date sera fixée. C’est ainsi que nous aurons cette possibilité, et c’est ainsi que le gouvernement de ce pays aura une carrure politique lui permettant de montrer à l’opinion publique des résultats à la hauteur de ses espérances et nous aurons, nous aussi, la possibilité dans le cadre des chapitres qui s’ouvriront d’expliquer, car moi je ne veux exercer des pressions sur personne, la raison pour laquelle certaines choses doivent être corrigées.
JOURNALISTE : En concluant cette brève discussion, je voudrais vous demander la chose suivante : Que pensez-vous du parcours de l’Europe dans la période à venir ? Dans quelle mesure êtes-vous préoccupé par le fait qu’à l’intérieur de l’Union européenne se forme un bloc de puissances de l’extrême droite : Salvini, Orbàn, Le Pen en France ?
Pensez-vous que l’Europe se dirige vers sa pleine intégration ou vers son effondrement ? C’est la question à un million.
N. DENDIAS : Tout d’abord, nous, chez la Nouvelle Démocratie, sommes des Européens convaincus. Cela était l’un des principes fondamentaux de notre fondateur, Konstantinos Karamanlis. L’avenir de l’Europe est-il sûr ? Pas du tout. C’est un carrefour et vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que c’est la question à un million. Une chose est certaine toutefois, si on veut avoir un avenir, un avenir sérieux, ainsi que la capacité d’influer sur les évolutions mondiales, cet avenir doit être commun.
Autrement, une Europe entourée de superpuissances n’aura plus de puissance ou une possibilité quelle qu’elle soit d’exercer une influence sur les développements.
Si, c’est-à-dire la Grande Bretagne pense qu’après 100 ans, vu sa population et son PIB, pourra se tenir toute seule face à la Chine ou aux Etats-Unis, elle se trompe et commet une grande erreur historique. Il est de notre devoir de chercher à parvenir à l’intégration européenne. Notre réussite dépendra des sociétés.
Vous avez raison. Le populisme, la montée de l’extrême droite, renforcée aussi par la mauvaise gestion de la question migratoire, sont des défis de taille. Toutefois, nous, en Grèce, y avons fait face. La société grecque alors que le PIB du pays s’élève à 70% de la moyenne européenne, a expulsé le parti de l’Aube dorée du parlement. Nous avons donné l’exemple. Nous qui sommes un petit pays.
JOURNALISTE : Nous remercions le ministre des Affaires étrangères.
N. DENDIAS : Merci à vous.
JOURNALISTE : Bonne journée M. Dendias.
N. DENDIAS : Bonne journée M. Chatzinikolaou.
November 22, 2019