JOURNALISTE : Accueillons maintenant à ce journal télévisé de SKAI, le ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias. Bonjour, Monsieur le Ministre et bon rétablissement. J'espère que vous allez bien.
N. DENDIAS : Je vais visiblement mieux, merci beaucoup.
JOURNALISTE : Cette maladie est survenue à un moment difficile, puisque vous avez dû répondre à une visite de fond, mais aussi de haute symbolique, du Secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken. Une atmosphère très chaleureuse s'en est dégagée, dites-nous si cette visite a répondu à vos attentes.
N. DENDIAS : Tout d'abord, comme vous le dites à juste titre, j'aurais préféré que cette visite se déroule sans que j’aie 39,5 de fièvre. Mais néanmoins, la visite a été excellente dans le sens où la partie américaine a exprimé, tant en public qu'en privé, exactement ce que nous attendions. C'est-à-dire, la reconnaissance du rôle que joue la Grèce dans la région en tant que pilier stable. Un pilier constant pour la paix, pour la justice, pour le droit de la mer, pour tout ce que nous défendons dans notre politique étrangère.
JOURNALISTE : M. le Ministre, y a-t-il eu des inquiétudes exprimées de la part de Washington quant au lendemain des relations gréco-turques ? Et j’aimerais que vous me disiez, parce qu'il y a eu avant le voyage de M. Blinken à Ankara et ses contacts avec votre homologue et aussi avec le président turc. S'il a en quelque sorte reçu un message de notre pays voisin.
N. DENDIAS : La vérité est qu'il n'a pas eu besoin de le faire parce que nous avions récemment parlé longuement avec Mevlüt Çavuşoğlu. Mais la partie américaine a vu très positivement cette possibilité de reprendre les discussions avec la Turquie et, bien sûr, nous a encouragés de toutes les manières possibles dans cette direction. Mais, c'est tout. Que personne ne pense - parce que j'ai vu différents articles publiés - que la partie américaine est entrée dans les détails de ce que nous allons faire, comment nous allons le faire, ce que nous allons dire, quand nous allons le dire, sur la base de quels droits, etc. Il n'y a rien eu de tel.
JOURNALISTE : Oui, il n’y a rien eu de tel. Vous avez vu votre homologue il y a quelques jours en voyageant dans les zones touchées en Turquie, vous avez également eu ces réunions importantes avec le Secrétaire d'Etat américain. Quel est le prochain jour maintenant dans les relations gréco-turques, compte tenu des nouvelles circonstances ? Sommes-nous prêts à ce que les deux parties s'assoient à nouveau un peu plus calmement à la table du dialogue ?
N. DENDIAS : Tout d'abord, je dis toujours, et vous me permettrez de le répéter, que l'aide que nous apportons et que nous continuerons à apporter, que ce soit de manière bilatérale ou en tant qu'Etat membre de l'UE, au peuple turc et à la société turque qui sont touchés par ces terribles tremblements de terre dévastateurs, ainsi qu'à la société syrienne par tous les moyens possibles, n'a rien à voir avec la politique étrangère grecque au sens large. Nous ne négocions pas, nous ne demandons pas de contrepartie géopolitique. C'est notre devoir humain.
JOURNALISTE : Non, mais on s’attend toujours à ce que cette soi-disant « diplomatie du séisme » fonctionne.
N. DENDIAS : Je vais vous le dire. Mais je pense que le Grec moyen est content de cela. Il est content de donner à son prochain quand il est dans le besoin. A partir de là, bien sûr, un climat différent a été créé. Et dans un climat différent, un climat très positif de rapprochement entre les sociétés, il est très facile de poursuivre une politique étrangère de rapprochement et de réouverture des discussions. C'est ainsi. Mais nous ne devons pas oublier que nous sommes à la veille d'élections dans les deux pays. Cette période n'est généralement pas propice aux grandes manœuvres. Ce qui pourrait peut-être être fait, c'est une certaine réouverture des discussions sur les mesures de confiance ou peut-être une réouverture des discussions exploratoires.
Mais, encore une fois, les deux pays sont en période électorale. Ce qu'il faut faire avec beaucoup de précaution en ce moment, c'est protéger ce climat très amélioré qui existe. Je voudrais noter, de manière très positive, que les violations turques dans l'espace aérien égéen ont été réduites de manière drastique, pour ne pas dire réduites à zéro. Je pense donc qu'un climat a été créé des deux côtés, de notre côté et du côté turc, qui permet ou permettra une reprise des pourparlers. Et pour moi, la tâche principale en ce moment n'est pas de trouver des solutions qui... (intervention du journaliste)..., c'est de préserver le climat.
JOURNALISTE : Préserver ce calme. Parce que je comprends que vous dites que les nouveaux gouvernements qui vont émerger des prochaines élections dans les deux pays vont entrer dans le fond de nos problèmes. Mais j'aimerais avoir votre avis, parce que c'est quelque chose qui est très débattu, non seulement à l'intérieur du pays mais aussi au niveau des analystes internationaux, à savoir si la Turquie sera – le jour d’après – un pays différent. Et à cet égard, si elle sera un pays différent pour ce qui est de la question qui nous préoccupe, la question de la provocation, de l'expansionnisme, de la rhétorique extrême qu'elle utilise contre notre pays.
N. DENDIAS : Je ne veux pas rouvrir les plaies en revenant sur des comportements passés qui ont en fait nui à nos relations. Et je pense que nous le savons tous. Je veux rester sur le côté positif : qu'il y a un excellent climat en ce moment. Dans ce climat, je pense que des approches unies peuvent être construites sur des questions extrêmement difficiles.
Cela étant, nous devons voir. Car nous avons une vision claire des choses. Nous n'allons pas changer notre vision du jour au lendemain. Nous verrons. Mais ce climat mérite d'être préservé et qu’une chance soit donnée à la diplomatie. C'est ce que j'essaie de faire et c'est ce que je vais continuer à essayer de faire jusqu'aux élections.
JOURNALISTE : C'est une évidence. Ce que j'essaie de comprendre, c'est s'il y a une perception trop optimiste en tout cas à ce stade qui dit que demain matin Ankara peut oublier, par exemple, le récit de la démilitarisation de nos îles. S'il y a une telle attente, un tel espoir.
N. DENDIAS : Si vous me demandez si je crois que le conflit gréco-turc est soluble, la réponse est bien sûr qu'il est soluble. C'est ce que je crois, c'est ce que j'ai cru depuis le début, c'est ce que j'ai prêché, c'est ce que je défends. Cela signifie, bien sûr, que nous devons être d'accord sur une base solide. Quelle est cette base solide ? Le droit international et le droit international de la mer. Je ne vous dis rien de différent de ce que je vous aurais dit il y a un mois, deux ou trois mois. Je crois donc que sur cette base, dans ce climat, une solution peut être trouvée. Une solution peut être trouvée au conflit gréco-turc. Et on peut trouver une solution dont la Grèce et la Turquie sortent toutes deux gagnantes. Car ce n'est pas le gain d'une partie qui est la perte d'un autre. Ce sont des choses auxquelles je crois profondément et auxquelles j'ai toujours cru. Et je crois que dans un bon climat, avec un pays ami et non avec un pays qui vous menace, cette chose peut être mise en œuvre. Mais cela reste à prouver, parce que, comme on dit, « il faut être deux pour danser le tango ». Ce n'est pas parce que je le dis que cela veut dire quelque chose.
JOURNALISTE : Évidemment. Il y a quand même un geste de la part de la Turquie. Le même jour qu'Antony Blinken était là, votre homologue turc a annoncé que le pays revenait à la table du dialogue avec la Suède sur son adhésion à l'OTAN. C’est un geste que vous évaluez comment ?
N. DENDIAS : Absolument positivement. Je pense que la Turquie devrait ratifier l'accord pour la Suède et la Finlande. Je pense que c'est l'intérêt de la Turquie. Je comprends que la Turquie est aussi à la veille d'élections, qu'elle a des problèmes etc. Mais garder un pays comme la Suède ou la Finlande hors de l'OTAN, je pense que c'est une erreur. Bien sûr, ce n'est pas à moi d'indiquer aux dirigeants turcs ce qui est dans l'intérêt de leur pays. Je dis simplement que si j'étais dans cette position, je prendrais une décision différente. Et je suis vraiment heureux que la Turquie mène les choses vers une résolution possible. Je fais maintenant référence à l'entrée des deux pays dans l'OTAN.
JOURNALISTE : Cependant, dans le climat que vous décrivez, puis-je supposer que les inquiétudes ou les préoccupations qui ont pu exister dans le passé au sujet d'un quelconque épisode, d'une recrudescence de l'agression turque dans la mer Égée à la veille des élections n'existent plus ?
N. DENDIAS : Tout d'abord, je n'ai jamais pensé que la Turquie tenterait quoi que ce soit. Mais ce que je craignais et ce que j'ai dit, c'est l'épisode accidentel, qui justement à cause de la période va devenir incontrôlable. Je pense que dans ce climat exceptionnel qui existe en ce moment, cette possibilité est considérablement réduite, voire complètement éliminée.
JOURNALISTE : Une dernière chose. Demain, M. le Ministre, cela fera un an que la Russie a envahi l'Ukraine. Pensez-vous que cette guerre durera encore longtemps et une réponse plus concrète quant aux obligations de la Grèce envers l'Ukraine. Et si quelque chose a été demandé au Secrétaire d'Etat américain à cet égard.
N. DENDIAS : C'est tragique, bien sûr. Une guerre tragique pendant toute une année, si je puis dire, une guerre complètement inutile. Une énorme erreur russe, une énorme violation du droit international, une invasion barbare d'un pays indépendant. Personne ne pensait que nous verrions de telles choses en Europe au 21ème siècle. Mais on l’a vu.
A partir de là, est-ce que je vois une résolution facile ? Pas du tout. Mais ici, pour moi, et je l'ai dit à plusieurs reprises en public, pour la politique étrangère grecque, pour le gouvernement Mitsotakis, je pense que pour la grande majorité de la société grecque, il y a le noir et le blanc. Il y a ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Tout comme nous disons que notre base est le droit international et le droit international de la mer, nous appliquons le même droit international à notre choix de soutenir l'Ukraine. C'est exactement ce que nous croyons de nous-mêmes, que nous appliquons à l'égard de l'Ukraine. Nous n'avons donc pas le choix.
Nous continuerons à soutenir un pays qui cherche à appliquer la Charte des Nations unies et à défendre son indépendance avec le sang de ses citoyens. Telle est notre position.
JOURNALISTE : Y a-t-il des choses supplémentaires qui nous ont été demandées?
N. DENDIAS : En plus de ce que nous faisons maintenant ? Non. La partie américaine souhaite que nous restions fermes dans notre soutien à la cause ukrainienne. Mais, pour vous dire la vérité, nous n'avions pas besoin, nous n'avons pas besoin que la partie américaine nous le demande. Nous ne le faisons pas pour faire un don aux États-Unis, nous le faisons parce que ce sont nos principes. Nous décidons que c'est ce que nous soutenons, parce que c'est ce que nous défendons dans nos propres affaires.
JOURNALISTE : Très bien. Je tiens à vous remercier pour la discussion que nous avons eue, M. Dendias. Je vous souhaite une bonne soirée.
N. DENDIAS : Merci beaucoup.
February 23, 2023