Interview du ministre des Affaires étrangères Nikos Dendias, sur la chaîne de télévision « SKAI » dans l'émission « Guerre en Ukraine » avec les journalistes Nikos Stravelakis et Pavlos Tsimas (31.03.2022)

N. STRAVELAKIS : Tels sont donc les derniers développements. Nous profitons de l'occasion pour souhaiter la bienvenue ici au studio de SKAI, avec Pavlos Tsimas, bonsoir Pavlos, au ministre des Affaires étrangères Nikos Dendias, que nous avons l'honneur et le plaisir d'accueillir ici ce soir.
Bonsoir, monsieur le ministre.

N. DENDIAS : Bonsoir.

N. STRAVELAKIS : Cela fait longtemps que vous n'avez pas accordé une interview. Nous vous remercions pour cela.

N. DENDIAS : Assez longtemps.

N. STRAVELAKIS : C’est une journée marquée de développements fulgurants dans la guerre en Ukraine avec les conséquences économiques ainsi que les effets secondaires découlant de celles-ci, et je voudrais commencer par cela et par la menace, l'ultimatum de Poutine aux pays inamicaux, comme il appelle maintenant les pays européens, selon lequel si à partir de demain ces pays ne payent pas en roubles -  maintenant il laisse une fenêtre dans le décret qu'il a publié - ils vont être privés d’approvisionnement en gaz naturel.
Je veux demander, pensez-vous que cela fait partie de la tactique du président russe ? Est-ce qu'il durcit sa position ? Est-ce qu'il envoie un message ? Est-ce qu'il joue toutes ses cartes ?  C'est sa dernière carte ou autre chose ?

N. DENDIAS : Tout d'abord, il est trop tôt pour avoir une image complète. Mais, dans le texte, comme vous l'avez bien observé, il y a une fenêtre sur l'utilisation de l'euro et ainsi de suite.
Je pense qu'il est logique que le président Poutine essaie de faire pression sur les pays de l'Union européenne. D'autre part, je pense, sans ajouter aucun élément  nouveau à ce que l’on sait déjà, que l'Union européenne a dit qu'elle ne céderait pas au chantage et aux menaces.

P. TSIMAS : L'Union européenne n'a rien dit. Certains pays l'ont dit. L'Union européenne n'a rien dit.

N. DENDIAS : Je vous assure que c'est la décision absolue du Conseil et parce que j'ai assisté aux Conseils pendant trois années consécutives...

P. TSIMAS : Et quels Conseils, hein ?

N. DENDIAS :  Il y a un consensus absolu au sein du Conseil des ministres et du Conseil européen, le Conseil des chefs d’État et de gouvernement.

N. STRAVELAKIS : Cette démarche de Poutine montre-t-elle qu'il subit trop de pression ? Je veux dire, les choses sur le front ne passent pas bien. Les choses ne vont pas bien pour l'armée russe.
Beaucoup de gens disent que cette négociation et ce qu'il fait sont des mouvements tactiques pour gagner du temps. Ainsi, un Poutine sous pression peut être un Poutine dangereux, qui peut passer à l'étape suivante et à celle d'après et, selon les menaces proférées par ses propres collaborateurs au Kremlin, activer à un moment donné la menace nucléaire.

N. DENDIAS : Ecoutez, j'espère que nous n'irons pas aussi loin.

N. STRAVELAKIS : Tout le monde...

N. DENDIAS : Mon homologue français Le Drian a donné une interview intéressante à la chaîne de télévision France 24 et on lui a posé exactement la même question que celle que vous me posez.
Il a dit, tout d'abord, qu'il est clair que les choses ne vont pas bien pour la Russie. Ce que les Russes attendaient n'est pas arrivé. Et cela prouve l'énorme erreur d'envahir un pays indépendant. En outre, que le président Poutine essaye probablement de profiter de pauses pour se regrouper. Et nous verrons si cela signifie qu'il cherchera une sortie honorable, ce que nous espérons tous. Il s'agit, tout d’abord, d'un cessez-le-feu complet. Un retrait du territoire de l'Ukraine et une négociation sérieuse. Ou c'est le prélude à une nouvelle opération russe. On ne peut pas savoir cette chose.

P. TSIMAS : Personne ne le sait. Mais ce qu'il fait aujourd'hui, c'est-à-dire le jeu avec le rouble, semble être une pression supplémentaire sur les pays de l'Union européenne : « laissez l'Ukraine tranquille, ou plutôt sortez du jeu. Cessez de soutenir l'Ukraine, sinon le prix que vous paierez sera très élevé ».

N. DENDIAS : Non, cela ne peut pas être fait. C'est désormais une question de principe pour tous les pays démocratiques. Les enjeux ne concernent pas seulement l'Ukraine. L’enjeu est maintenant beaucoup plus grand.
Une ligne de démarcation a été tracée et il s'agit d'une ligne de démarcation de principes. Il ne s'agit pas d'une ligne de démarcation géographique. Le fait que l'on parle maintenant indirectement de la neutralisation de l'Ukraine, c'est-à-dire de la non adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, est une concession au sentiment de sécurité que la Russie aimerait ressentir après cette aventure ratée.
Au-delà, cependant, l'Ukraine doit être sauvegardée et l'Occident ne peut plus la laisser à elle-même, quelles que soient les pressions qu'elle subit de la part du président Poutine ou de toute autre partie.

P. TSIMAS : Néanmoins, il y a une très grande difficulté que vous et vos homologues et nous et nos collègues avons à comprendre exactement ce que le président russe voulait, ce qu'il veut et ce qu'il pense.
J'ai l'impression que M. Dendias, si je me souviens bien, est le dernier ministre des Affaires étrangères occidental qui était à Moscou et qui a parlé à M. Lavrov avant que la pluie s’abatte sur...

N. STRAVELAKIS : Le 18 février a eu lieu votre rencontre avec Lavrov, le 24 février c’était l'invasion.

N. DENDIAS : C’était six jours avant.

N. STRAVELAKIS : Vous devez être le dernier.

P. TSIMAS : D'après ce dont je me souviens de vos déclarations, il vous avait assuré qu'il ne ferait pas ce qu'il a fait.

N. DENDIAS : Je continue toujours de croire que mon interlocuteur ne savait pas.

N. STRAVELAKIS : A votre avis,  Lavrov ne savait pas ?

N. DENDIAS : Je le crois, mais c'est mon hypothèse de travail. Puisqu'il donnait ces assurances, dans son propre esprit, il n'était pas du tout clair que ...
N. STRAVELAKIS : Que vous a-t-il dit d'autre ? Pouvez-vous le divulguer ? Parce que ce qui est devenu connu...

N. DENDIAS : Il n'est jamais correct entre ministres des Affaires étrangères de dire ce que l'autre partie a dit. Cela ne se fait pas.

N. STRAVELAKIS : Non, je ne parle pas des détails. Votre impression de cette réunion était que « la Russie n’envahirait pas l’Ukraine ? » et quel était le plan de la Russie à ce moment-là ?

N. DENDIAS : Laissez-moi vous dire mon point de vue. Encore une fois, je n'ai pas le droit de dire ce que l'autre partie a dit.

N. STRAVELAKIS : Oui, dans ce sens. L’impression que vous avez eue. C'est ce que je vous demande.

N. DENDIAS : Il y avait une expression utilisée à l'époque par la partie russe, « ambiguïté stratégique », notion qui a également été utilisée envers Liz Truss, qui me l'a confirmé lorsque je l'ai rencontrée par la suite.
C'est-à-dire un déploiement de forces et une pression exercée par les troupes russes à la périphérie de l'Ukraine, afin que la Russie amène l'Ukraine, par la pression et le doute sur les intentions de l’armée russe, à prendre certaines décisions que la politique étrangère russe voudrait.
C'était la logique, la logique générale, telle que je l'ai comprise du côté russe.

P. TSIMAS : Et peut-être que Lavrov lui-même a été surpris par ce développement.

N. DENDIAS : Quoi qu'il en soit, la vérité est que ce que la Russie a fait, que Lavrov l'ait su ou non, est tragiquement inacceptable au 21ème siècle, cela va contre toute logique acceptable et on ne peut que le condamner par principe immédiatement, tracer une large ligne rouge et dire que ce n'est pas acceptable, point final. Et c'est ce que les démocraties occidentales ont fait, et bien fait.

N. STRAVELAKIS : Plus d'un mois s'est écoulé depuis le jour de l'invasion. À l'époque, Poutine disait ce qu'il voulait. Dénazification, démilitarisation. En gros, nous avons compris qu'il voulait faire tomber Zelensky et prendre ou contrôler l'Ukraine, comme il a contrôlé la Crimée en quelques jours.
Depuis lors, tout a changé. Où nous en sommes maintenant, à ce stade des négociations, que pensez-vous que nous ayons devant nous ? Avons-nous des pas qui peuvent en quelques jours, quelques semaines, amener les deux parties à un accord, ou avons-nous de nombreuses semaines ou mois de guerre devant nous ?

N. DENDIAS : M. Stravelakis, je ne peux pas spéculer.

N. STRAVELAKIS : En fonction des données que vous voyez.

N. DENDIAS : L'impression que la partie russe donne à tout le monde est qu'elle a fait une énorme erreur. Elle partait du principe que l'armée russe serait acceptée comme un libérateur et que le gouvernement Zelensky et l'Ukraine en tant qu'appareil d'État seraient démantelés.
C'était l'hypothèse de travail russe sur la base de laquelle l'opération a été menée.

N. STRAVELAKIS : Ça c’est fini.

N. DENDIAS : Cela n'a pas été le cas. Voyons maintenant où nous en sommes. Il y a quelques signes d’optimisme à peine perceptibles. Par exemple, l'accord de principe selon lequel la non adhésion de l’Ukraine à l'OTAN pourrait être acceptée.
Cependant, personne d'autre ne peut décider, mais seulement l'Ukraine en tant que pays souverain, s'il faut faire des concessions dans les négociations avec la Russie.
Notre obligation, l'obligation morale du monde occidental, est de soutenir l'Ukraine et le peuple ukrainien dans ce formidable effort qu'il fait pour défendre sa dignité et son indépendance. C'est ce que nous devons faire.
S'ils décident qu'ils peuvent, à travers des négociations avec la Russie, être amenés à certains accords, il est évident que nous les soutiendrons, mais nous ne pouvons pas les amener à faire des concessions. Nous ne devons pas. Si vous voulez, ce serait à la fois profondément immoral et, contraire, dans la pratique, aux positions immuables de la politique étrangère grecque pour laquelle le droit international, l'intégrité territoriale et le non-révisionnisme sont l’« évangile ».

P. TSIMAS : Si une partie de l'accord de compromis prévoit que l'Ukraine reconnaisse qu'elle a perdu la Crimée, que la Crimée appartient officiellement à la Russie et que les territoires qui ont été conquis, c'est-à-dire dans l'est de l'Ukraine, le Donbas, seront indépendants ou seront cédés à la Russie, je ne pense pas que ce soit une évolution que la partie grecque, Athènes, nous ici, serions heureux de voir. Même si cela mettait  de cette façon fin à la guerre.

N. DENDIAS : Je le répète, je ne pense pas que la partie ukrainienne en arrivera au point d'accepter la cession complète du Donbas à la Russie. Il peut y avoir un régime d'autonomie, avec quelques droits accrus, quelque chose comme ça, mais c'est une hypothèse de travail. Je ne sais pas.
Encore une fois, ce qui nous rend heureux ou non en tant que partie grecque n'a que peu d'importance. Si vous me demandez ce qui me rendrait heureux, ce serait si cela n'était jamais arrivé. S'il y avait un respect absolu. Si la Russie avait continué sur la voie du rapprochement avec l'Union européenne, sur la voie du rapprochement avec le mode de vie européen, si elle était devenue partie intégrante de l'architecture de sécurité de l'Europe. Et toutes ces choses auraient été un mauvais cauchemar dès notre réveil. Mais nous vivons dans un autre monde.

N. STRAVELAKIS : Maintenant que vous avez dit « cauchemar » et « autre monde », je voudrais vous demander ce qui vous fait peur, en tant que ministre grec des Affaires étrangères, dans ce nouveau monde qui se dessine, ce qui vous inquiète le plus.

N. DENDIAS : Tout. Monsieur Stravelakis, je ne vous cacherai pas que ce que nous vivons n'est pas du tout agréable. Tout d'abord, permettez-moi de commencer par le positif, car il faut toujours commencer par le positif.
Quels sont les points positifs ? Que les démocraties dans leur ensemble s’opposent au révisionnisme, et aussi avec une position et un discours très, très clairs, quels que soient les sacrifices et au-delà du chantage.
C'est quelque chose de très important pour la Grèce en tant qu'acquis et donc, si vous voulez, en plus de nos principes, c'est aussi quelque chose que nous soutenons de tout cœur.
Cela agit comme un quasi-bouclier pour nos propres intérêts, pour notre propre avenir et pour la création d'une Europe beaucoup plus cohésive que celle que nous avons eue jusqu'à présent.

N. STRAVELAKIS : C'est le côté positif. Votre crainte ?

N. DENDIAS : Le négatif ? C’est de voir la guerre en Europe et même la guerre avec des victimes civiles au 21ème siècle. Quelqu'un s'attendait-il à ça ? A l'aube de ce siècle, étaient-ce là nos espoirs ? Ma foi non.

P. TSIMAS : Il y a une théorie que j'entends depuis le début et surtout dans les médias américains, elle est constamment développée, vous l'entendrez aussi. Ce que la Russie fait en réalité en Ukraine, c'est prendre un pays en otage pour faire du chantage à l'Occident, et en particulier aux États-Unis, afin de mener une grande négociation (« grand bargain ») pour  parvenir à un  nouvel accord, une nouvelle donne un nouveau partage du monde.

N. DENDIAS : La Russie est un très grand pays. Territorialement, j’imagine, le plus grand de la planète. Un pays qui joue toujours un rôle dans les développements, qui est toujours un négociateur au niveau international, sur les grandes questions critiques de l'humanité. Ce qui serait important, c'est de devenir un négociateur en termes de concurrence, tout d'abord, dans ses exportations, dans sa technologie, dans l'énorme contribution culturelle qu'elle a déjà apportée à l'humanité.
Ce qui est totalement incompréhensible, c'est la manière dont elle a choisi de rouvrir ce débat. Par les armes, par les tanks et par le massacre de civils.
Cette chose, je vous le dis franchement, est pour moi totalement incompréhensible. Pourquoi ? Pourquoi  la Russie a -t-elle fait ce choix alors qu'elle en avait suffisamment d'autres ? Et si vous voulez, dans ces choix suffisants, elle avait aussi le soutien d'un certain nombre de pays qui étaient plus ou moins en phase avec elle.

P. TSIMAS : Lorsque des efforts étaient déployés, lorsque les pourparlers  se tenaient, lorsque Macron se rendait et se rendrait de nouveau à Moscou, lorsqu’ il téléphonait et téléphonait de nouveau, tout comme le Chancelier Scholz, quelle était notre position ? Est-ce que nous étions... ?

N. DENDIAS : Positifs.

P. TSIMAS : Oui, nous étions en faveur de...

N. DENDIAS : Comme nous le faisons avec la Turquie. Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis est allé déjeuner avec le président Erdogan. Notre point de vue est toujours en faveur des canaux de communication. Des canaux de communication ouverts.
Ne nous ne leurrons pas. On ne peut pas faire autrement. Si on ne parle pas, on ne peut pas parvenir à une solution.

N. STRAVELAKIS : Comme vous vous êtes référé à la Turquie maintenant, je veux demander  quelque chose et je suppose que vous vous attendiez à cette question.

N. DENDIAS : Ai-je dit quelque chose que je n'aurais pas dû, M. Stravelakis ?

N. STRAVELAKIS : Non, je suppose que vous vous y attendiez.

P. TSIMAS : Vous nous aidez à passer au chapitre suivant.

N. STRAVELAKIS : Parce que vous avez parlé tout à l'heure de révisionnisme et j'imagine que, ayant à l'esprit que l'humanité, le monde entier est contre ce révisionnisme de Poutine, vous aviez aussi à l'esprit le révisionnisme d'Erdogan.
Vous avez utilisé ce mot  à plusieurs reprises pour décrire sa politique.

N. DENDIAS : Oui.

N. STRAVELAKIS : Donc je demande : Nous sommes confrontés à une Turquie qui est passée du statut de fauteur de troubles à celui de pacificateur, mais qui, en même temps, pour pouvoir jouer ce rôle, est aidée par le fait qu'elle n'applique pas de sanctions. Bien qu'elle soit un pays membre de l'OTAN, elle joue sur les deux tableaux. Quel est votre avis ?

N. DENDIAS : Exact. Tout d'abord, je pense qu'à long terme, personne ne peut jouer sur les deux tableaux. Il n’obtiendra rien.
Par ailleurs, je pense que nous avons tous remarqué, que ce soit souligné  plus ou moins fortement, le fait que la Turquie n'impose pas de sanctions. Tout le monde l'a remarqué, je vous l'assure.

P. CHIMAS : Mais ils le tolèrent.

N. DENDIAS : En effet, précisément à cause de la conjoncture, de l'impossibilité d’avoir de fronts multiples, ils le tolèrent, c'est comme vous le dites. Et si vous me demandez si j'aime le fait qu'ils le tolèrent, je vous réponds directement non, je n'aime pas qu'ils le tolèrent.
Mais, d'un autre côté, soyons clairs, sans pour autant vouloir mettre en avant la version la plus favorable pour nous-mêmes, le récit révisionniste turc en tant que présentation globale de position a subi un coup dur. Le révisionnisme international aux dépens des traités et de l'intégrité territoriale des États a subi un coup dur et la Turquie l'a très - très bien compris, je vous l'assure.
Dans le discours de ses fonctionnaires, il est évident qu'il y a un changement de ton et un changement d'objectif. Parce que la Turquie est un pays qui a été majoritairement révisionniste, que ce soit en Syrie, en Irak, en Méditerranée orientale, ou au sujet de l'intervention en Libye. Et soudain, tout ce récit apparaît moralement illégitime dans le monde entier.
Et je soupçonne que la Turquie regardait, peut-être même au niveau présidentiel, le président Erdogan regardait, avec une secrète admiration, le président Poutine comme l'homme fort imposant sa volonté.
L'annulation de cette politique en Ukraine, parce que quoi qu'il arrive, cette politique axée sur la puissance a été annulée en Ukraine, cela est fini, donc quoi qu'il arrive à partir de maintenant, la Turquie a vu le récit révisionniste échouer.

P. CHIMAS : Peux-je insister sur ce point ? Parce que vous donnez une réponse très intéressante. Le 25 février, le lendemain de l'invasion, je me souviens que nous nous demandions tous ce qui se passait maintenant, ce qu'en pensait Erdogan, comment le voyait-il ? Si une grande puissance comme la Russie peut, au nom de sa profonde perception de l’histoire, imposer la violence à un pays voisin, comment Erdogan le perçoit-il ? Et vraiment, nous étions horrifiés par la réponse possible à la question.
Quelques vingt-quatre heures ont passé et nous avons posé la question exactement inverse : Si Erdogan voit le monde entier, le monde occidental, l'Europe et l'Amérique, s'opposer à l'effort révisionniste d'une grande puissance comme la Russie, dans quelle mesure, pense-t-il être en mesure d’exprimer des aspirations révisionnistes ?
Mais  cette manière de voir les choses est peut-être trop optimiste.

N. DENDIAS : Peut-être, mais le président Erdogan est un homme politique perspicace, il n'aurait pas survécu politiquement pendant vingt ans s'il n'avait pas été perspicace.
Malgré ses efforts pour se présenter comme un acteur imprévisible, il comprend très bien le climat international.
Et je prédis que la Turquie va essayer de changer la façon dont elle présente, non pas ses positions - en fait, je ne suis pas si optimiste, je le souhaite - mais la façon dont elle présente ses positions, afin de ne pas se retrouver en opposition avec ce climat international qui a été créé.

P. TSIMAS : Permettez-moi d'insister, c'est une question que, j'imagine, vous entendez aussi. Nous, qui sommes dans le milieu des médias, l'entendons tous les jours de la part des citoyens. La politique de la Turquie est-elle plus intelligente que la nôtre ? Est-ce que le fait que la Turquie joue sur deux tableaux la rend soudainement un acteur international, alors que nous, qui « allons la croix en main » et suivons une politique axée sur des principes, n'allons nulle part ?

Ν. DENDIAS : Monsieur Tsimas, tout d’abord je dois vous dire que l’on m’a dit la même chose à plusieurs reprises, tout comme on l’a dit à vous, c’est vrai. Lorsqu’on l’entend, on se demande si cela pourrait être vrai. Et ils ont utilisé exactement la même expression « la croix en main ».

P. TSIMAS : C'est-à-dire, avec une politique de principes.

N. DENDIAS : Oui, avec une politique  de principes.
Tout d'abord, je crois qu'un homme qui va la croix en main ne perd pas nécessairement. Je pense que la croix est une très bonne arme pour aller de l'avant.
Deuxièmement, sur le fond, la pire chose qui puisse arriver à la Grèce est d'essayer d'imiter la Turquie ou de devenir une « anti-Turquie ».
La Grèce a sa propre politique, qui n'est pas déterminée par de facteurs extérieurs, mais elle est auto-définie, parce que telle est la position de la société et c'est quelque chose qui sert le pays et ses intérêts.
La Grèce a choisi un avenir européen. La pire chose qu'elle aurait pu faire est de se différencier de l'Union européenne, de rompre le consensus. Nous serions alors trouvés vraiment dans une situation difficile, et nous aurions brisé l'image même de la politique de principes que nous avons mise en avant pendant toutes ces années. Cela aurait été un désastre pour la Grèce.

N. STRAVELAKIS : Je comprends donc de ce que vous décrivez que vous espérez, que vous êtes optimiste, que ce nouveau rôle de la Turquie et cette nouvelle situation mondiale nous permettront d'avoir en face de nous une Turquie moins audacieuse, plus recueillie, plus prudente, n'est-ce pas ? Moins provocatrice.

N. DENDIAS : Tout d'abord, je pense que l'analogie selon laquelle la Turquie se percevrait comme la Russie, et elle nous percevrait comme l'Ukraine, est complètement fausse. Soyons clairs.

P. TSIMAS : Oui, la Turquie n'est pas la Russie et nous ne sommes pas l'Ukraine, d'accord.

N. DENDIAS : Et nous ne sommes pas l'Ukraine et nous pouvons très bien défendre nos droits nationaux, n'est-ce pas ? Des mots clairs, afin de ne pas donner lieu à des réflexions,  au-delà de l’Egée, ce qui pourrait ne pas être utile.
Mais au-delà de cela, oui, je pense que la Turquie sera obligée à cause de l’environnement international lui-même de suspendre son discours révisionniste et, bien sûr, d'annuler dans la pratique tout révisionnisme réel dans un avenir proche.
La communauté internationale ne tolère pas les interventions...

N. STRAVELAKIS :  Dans un avenir proche vous dites.

N. DENDIAS : La communauté internationale ne peut pas supporter les interventions.

N. STRAVELAKIS : Mais est-ce qu'elle change ? Et je pose cette question parce que nous avons récemment eu la réunion Akar-Panagiotopoulos et après la rencontre Hulusi Akar a parlé de « partage équitable dans la mer Égée ». Hier, nous avons encore enregistré 50 violations dans la mer Égée.
Il y avait eu sur la chaîne publique, Manolis Kostidis en a parlé ce matin,  un reportage sur le défilé militaire à Samos le 25 mars. Je veux dire, est-ce que la Turquie change ? Ou bien va-t-elle tout simplement baisser le ton, mais le contenu  de son discours sera le même ?

N. DENDIAS : Je ne me fais aucune illusion M. Stravelakis.  Je ne m’attends pas à ce que demain ou après-demain la Turquie va changer radicalement, non. Je veux être honnête à ce sujet aussi.
J'ai défini la limite de mon espoir et la limite de mon espoir est  l'amélioration au niveau du discours et, dans le cadre du système propre à la Turquie, la limitation  de ses ambitions révisionnistes.
Si maintenant, petit à petit, l'ADN de la politique étrangère turque peut être modifié vers une approche plus européenne et démocratique et vers un rapprochement cordial avec la Grèce, ce qui aurait des résultats brillants pour eux et pour nous, cela reste à voir.
Mais je ne suis pas optimiste quant à la possibilité que cela se produise demain ou après-demain.

P. TSIMAS : Cela ne va pas se produire demain ou après-demain, mais voyez-vous un environnement dans lequel la Turquie peut trouver, parce que j'entends des diplomates le dire depuis des années, une incitation,  comprendre qu’il est dans son intérêt de résoudre ses vieux différends avec la Grèce, renoncer à ses revendications absurdes et parvenir à un accord, un compromis, évidemment, mais de toute façon un accord avec la Grèce ?
Ces dernières années, notre sentiment est que la Turquie n'est pas incitée à le faire. Est-ce qu’elle l’est maintenant ?

N. DENDIAS : A mon avis, elle avait toujours cette incitation.   Que la Turquie elle-même l'ait réalisé ou que ce soit la situation interne elle-même qui obligeait le président Erdogan à demander 51 % et donc le soutien des partis d'extrême droite à travers un agenda nationaliste, et cela annulait cette logique, c'est autre chose. C'est en effet ce qui se passait.
À mon avis, et je le dis sincèrement, l'intérêt de la Turquie et de la société turque est sur la voie de la convergence vers l'Union européenne, son très grand voisin économique. Mais si maintenant, dans le contexte de la nouvelle réalité, elle le voit plus clair, je vous dirai que cela l’aidera dans ce sens.
Le modèle de l'autre approche s'est effondré. C'est-à-dire un président Poutine, qui peut, par la force des armes, imposer sa volonté où il veut. Cela s'est effondré. Le système turc s'en apercevra-t-il suffisamment ? Je ne sais pas, mais j'espère que cela arrivera, je vous l'ai déjà dit.
Au début, comme vous me l'avez demandé, il y avait la crainte d'une imitation de la part d'Erdogan. Je pense que nous savons tous maintenant qu'il n'y a pas de modèle à suivre.

N. STRAVELAKIS : Cependant, vous savez qu'il y a aussi le côté moins conciliant qui dit « nous sommes fiers de la Turquie qui joue le rôle de pacificateur », de la Turquie qui a fait ce qu'elle a fait à Chypre et maintenant elle donne des leçons à la Russie et à l'Ukraine sur la façon dont ces dernières pourraient s’entendre, alors que ce que Poutine a fait en Ukraine, la Turquie l'a fait à Chypre.

N. DENDIAS : Bien que cela puisse sembler grave, ce n’est pas faux, et j’aimerais à cet égard aussi être sincère. Il est évident que la Turquie a envahi Chypre en violation du droit international, point final. Et si elle veut parler de puissances garantes et ainsi de suite, elle devrait déjà être partie [de Chypre]. Le fait qu'elle reste avec une armée d'occupation est la violation la plus grossière du droit international en Europe jusqu’à l'invasion russe de l'Ukraine, telle est la vérité absolue.

N. STRAVELAKIS : Cette nouvelle réalité peut-elle aider la Turquie à tirer profit de la situation également vis-à-vis des Etats-Unis et sur la question des sanctions ?

N. DENDIAS : Elle va essayer de le faire.

N. STRAVELAKIS : Aujourd'hui, par exemple, Cavusoglu  a dit « Je pense qu'ils vont nous donner les F16, ils ne peuvent plus se cacher derrière le Congrès », vous savez ce qu'il veut dire...

N. DENDIAS : Oui, oui…

N. STRAVELAKIS : Vous comprenez les contradictions concernant les sanctions. Et de toute façon, dit Cavusoglu, « si cela ne change pas, nous avons les.. S400 ». Pensez-vous que la Turquie va essayer de jouer cette carte contre les États-Unis pour obtenir les F16 et faire lever les sanctions, même si elle possède des missiles russes ?

N. DENDIAS : La Turquie va essayer quelque chose de plus, elle va essayer d'obtenir les F35. Et si elle échoue, elle va de nouveau essayer d’obtenir les F16 et elle le fera tout en suivant une logique astucieuse : si vous ne me donnez pas le majeur, donnez-moi le mineur.

N. STRAVELAKIS : Peut-elle réussir ?

P. TSIMAS : Votre sentiment est qu'elle peut le faire ? Je veux dire que le côté américain pourrait...

N. DENDIAS : Je pense que les chambres législatives américaines ont une image claire.
Malgré la grande utilité de la Turquie pour les États-Unis à ce stade, même sans la pleine imposition de sanctions, les contacts que j'ai eus - et je me suis entretenu avec un très grand nombre de personnes, qu'il s'agisse de sénateurs ou de membres de la Chambre des représentants - me permettent de dire qu’elles ont une image claire.
Mais ça demande, pour être honnête, notre propre effort, n'est-ce pas ? Si nous attendons que la justice nous soit rendue par Dieu seul…

P. TSIMAS : Il y a une dimension particulière de ce problème qui est apparue dans l'actualité. Pendant des années, nous avions presque oublié ou, en tout cas, nous avions mis en veilleuse la question des réserves énergétiques, du gaz naturel en Méditerranée orientale. Les derniers développements redonnent une certaine importance à ces gisements, qui redeviennent très importants, évidemment au niveau européen.
Je comprends que la Turquie a tenté, en se rapprochant d'Israël et en essayant de se rapprocher de l'Égypte, de panser les plaies qu'elle-même avait ouvertes les années précédentes et de mettre en place un nouveau partenariat. Au lieu de l'EastMed qui faisait l’objet de vos discussions, elle parle d’un nouveau pipeline qui partirait d'Israël et passerait par la Turquie pour atteindre l'Europe.

N. STRAVELAKIS : Erdogan l'a dit aujourd'hui.

P. TSIMAS : En laissant la Grèce en dehors de la route de l'énergie.

N. DENDIAS : Attendez une minute, je l’ai remarqué, ce n'est pas la première fois que le président Erdogan fait ces annonces.

N. STRAVELAKIS : C'est ce qu'a dit Erdogan aujourd'hui.

N. DENDIAS : Oui, c’était plus comme un vœu pieux envers la partie  israélienne et moins comme un projet prêt à être réalisé.
Tout d'abord, en tant que ministre des Affaires étrangères de la République hellénique, je ne suis pas autorisé à émettre des commentaires sur les questions d’autres pays, des questions bilatérales n'est-ce pas ? Israël-Turquie, par exemple. Mais en tant qu'observateur, et non en tant que ministre des Affaires étrangères, j'aurais une petite remarque  à faire.
Ce pipeline, pour aller d'Israël à la Turquie, a deux tracés possibles. L'un d'entre eux est la Syrie, avec laquelle Israël entretient les relations qu'elle a et  donc cela est probablement hors de question. L'autre est Chypre, dont la Turquie nie l'existence légale. Il y a donc un problème.

P. TSIMAS : Oui, comment cela va-t-il se passer ? Quelle est la version réaliste à ce stade ? Quelle est la version que la Grèce peut poursuivre de manière réaliste afin que les ressources énergétiques de la Méditerranée orientale, avec la participation de la Grèce, puissent devenir un combustible de transition, une ressource énergétique de transition pour l'Europe ?

N. DENDIAS : Il y a de multiples routes alternatives. La route EastMed, qu'il s'agisse à travers des pipelines ou des câbles, est toujours valable car, si vous vous en souvenez, cette possibilité n'a pas été écartée par la partie américaine avant la crise. Ce commentaire d'un fonctionnaire américain concernait le pipeline, pas le tracé du pipeline, pas le câble. Dans le même document, il était absolument positif à l’égard du câble à travers la même route, ce qui est l'argument géopolitique.
Parce que l'argument géopolitique concerne la route. Le coût est l'argument économique, c’est à cela qu’il faisait référence.
L'autre possibilité est l'accord gréco-égyptien, qui pourrait porter sur le transport soit par un pipeline, soit par un câble.

P. TSIMAS : Où en sommes-nous par rapport à l'Egypte ? L'Égypte est le seul pays avec lequel Erdogan s'est disputé les années précédentes et  maintenant il se réconcilie, c'est le seul pays avec lequel il ne s’est pas encore réconcilié.

N. DENDIAS : L'Egypte suit une politique sérieuse axée sur de principes.

N. STRAVELAKIS : Vous étiez là-bas lundi.

N. DENDIAS : J'y étais, c'est la huitième fois que j'y suis. Et, franchement, je suis extrêmement fier du niveau des relations que la République hellénique entretient avec l'Égypte, extrêmement fier.
L'Égypte s’est avérée un partenaire absolument fiable et sérieux pour la Grèce.

P. TSIMAS : Il y a une question épineuse dans tout cela, le fameux « pacte turco-lybien », l'élaboration de...

N. DENDIAS : Oui.

P. TSIMAS : Parce que toute route de la Méditerranée orientale vers l'Europe traverse ce que la Turquie et la Libye se sont partagées entre elles.

N. DENDIAS : Exact, exact.

P. TSIMAS : Et alors ?

N. DENDIAS : M. Tsimas, soyons clairs ici et permettez-moi de le dire dans un monologue et avec une clarté absolue.  
L'accord gréco-égyptien, que j'ai eu l'honneur de signer, de négocier et de signer au nom du gouvernement Mitsotakis et de la République hellénique, revêt une importance existentielle pour la Grèce et, si je puis dire, une importance existentielle pour l'Europe, précisément à cause de ce que vous avez dit.    Parce que c'est un lien énergétique potentiel entre l'Europe et l'Afrique. 
Il est hors de question que la Grèce permette la remise en cause de cet accord.  Pas question, quelles que soient les circonstances.

P. TSIMAS : Est-ce que cet accord pourrait être annulé dans le cadre de cette entente cordiale dont vous avez parlé auparavant ?

N. DENDIAS : Cet accord est un modèle, un modèle.

P. TSIMAS : Je ne parle pas de l'Egypte, je parle de l'accord Erdogan-Libye.

N. DENDIAS : Vous savez, là je dirais que l'annulation d’un accord qui n’existe pas est un projet juridique intéressant pour nous et pour toute personne qui a une connaissance élémentaire de l'UNCLOS et du droit de la mer, une connaissance de base.  Vous n'avez pas besoin d'être un chercheur érudit en la matière.
Cet « accord turco-lybien » particulier est une bouffonnerie. Il est inénarrable, il n’existe pas.

N. STRAVELAKIS : Monsieur le Ministre, vu les nouvelles données, peut-on remettre sur la table le projet que les Américains ont gelé, c'est-à-dire EastMed comme prévu initialement ? Vous étiez en Égypte et je suis sûr que vous avez également discuté de ces questions.
Étant donné les bonnes relations de la Grèce avec tous les pays, la Turquie a récemment discuté avec Israël, pas avec l'Égypte, elle essaie, elle fait tout ce qu'elle peut, Pavlos l'a dit.  Alors, vu ces nouveaux faits, le projet EstMed peut-il être remis sur la table maintenant que l'Europe en a besoin ?

N. DENDIAS : Monsieur Stravelakis, il s’agit d’un projet économique.  Sur le plan politique, la question de la route a déjà été évoquée. En tant que projet économique, il s’agit de sa viabilité économique, du prix du gaz et du coût…

N. STRAVELAKIS : Mais maintenant nous avons une raison supplémentaire, nous avons besoin du gaz.

N. DENDIAS : C'est vrai, c'est vrai. Mais, encore une fois, nous avons besoin d'une étude sur les nouveaux prix du gaz et les nouveaux besoins.

N. STRAVELAKIS : La Turquie pourrait-elle, d'une manière ou d'une autre, y participer ? Cette Turquie que vous avez décrite, dans le cadre de cette nouvelle entente ?

N. DENDIAS : Une Turquie qui aurait abandonné le révisionnisme, qui aurait voulu faire partie du système.

N. STRAVELAKIS : Une Turquie qui répondrait aux normes dont vous parlez.

N. DENDIAS : Ce serait souhaitable pour tout le monde. Et pour la Turquie et pour tout le monde.  Nous ne voulons pas expulser la Turquie de la scène internationale, nous ne voulons pas exclure la Turquie, nous ne voulons pas d'une Turquie enfermée et craintive.
Nous voulons une Turquie qui soit un acteur raisonnable dans le système international, dans le cadre de principes, de valeurs et de légitimité.  Je l'aimerais bien.  Et je ne cesse d'espérer qu'un jour un ministre grec des Affaires étrangères s’entretiendra avec cette Turquie.

N. STRAVELAKIS : Maintenant, nous avons très peu de temps. Je voudrais terminer en évoquant à nouveau l'Ukraine et l'initiative que vous avez annoncée de participer à une mission humanitaire à Marioupol.
Et je veux demander - en fait aujourd'hui 45 bus sont partis pour aller là-bas – si on a des informations concernant l’issue de cette mission ?

P. TSIMAS : Nous ne savons toujours pas, oui.  On l’espère.

N. STRAVELAKIS : Où en est cette initiative et où en sont vos discussions avec Zelensky, qui vous a remercié publiquement.  Vous l'avez invité à prendre la parole jeudi prochain au Parlement grec.

N. DENDIAS : Le Premier ministre l'a invité.

N. STRAVELAKIS : Le Premier ministre et la Grèce.  Notre pays, le gouvernement. Et vous avez une invitation ouverte pour aller à Kiev.

N. DENDIAS : Oui, je vais y aller.

N. STRAVELAKIS : Vous y allez ?

N. DENDIAS : J'irai, oui, dès que M. Kuleba reviendra, il n'est pas là maintenant. Il ne dit pas toujours où il se trouve pour des raisons évidentes, bien sûr je vais aller à Kiev. Mais aussi, nous avons un très grand intérêt pour la partie côtière de la Mer Noire, c'est la partie où historiquement les populations grecques ont vécu, ont prospéré et continuent de vivre aujourd'hui.

P. TSIMAS : Laissez-moi vous demander quelque chose, avez-vous le sentiment que nous avons fait tout ce que nous pouvions pour ces personnes ? Parce que ces personnes ont - en plus du fait qu'il y avait des citoyens grecs là-bas - la citoyenneté grecque, la nationalité grecque.
Il existe une nombreuse population composée de nos compatriotes, une population qui se sente grecque.

N. DENDIAS : Ils se sentent grecs, oui c’est vrai. Ecoutez, je ne vous cacherai pas que pour nous c'est très triste ce qui est arrivé, très triste. Je regrette qu'il n'y ait eu aucune possibilité pour nous d'empêcher cette chose.
Nous avons essayé de toutes les manières possibles. Je me suis rendu là-bas à temps. Pourquoi y suis-je allé ?  Pour mettre en avant la présence et pour renforcer la présence. Nous avons essayé de renforcer les mécanismes avec nos propres petits moyens financiers, j'ai demandé ce que j'ai demandé à la partie russe lors de ma visite en Russie. La raison, sinon la raison principale, de ma visite en Russie était d'indiquer qu'il existe là-bas une population à laquelle il faut prêter attention.

N. STRAVELAKIS : Plus de 100 000 personnes.

N. DENDIAS : Et ce n'est pas seulement là, n'est-ce pas ? C’est aussi à Kherson, c’est aussi à Odessa où nous avons des bâtiments historiques absolument liés à l'hellénisme moderne et nous avons une communauté grecque.
La partie russe, pendant le siège et l'occupation de Marioupol, a violé toutes les règles du droit humanitaire et international. Elle a bombardé des zones peuplées, il y a eu des victimes, beaucoup de victimes, des centaines de milliers de victimes parmi les civils.
Il nous a été extrêmement difficile de faire revenir notre consul de là-bas, extrêmement difficile.  Que pourrait-on dire à cet égard ?

N. STRAVELAKIS : Pavlos, une dernière question.

P. TSIMAS : Il n'a pas raconté, vous n'avez pas raconté cette histoire. C'est-à-dire comment le Consul a pu partir, qui a fait preuve d'héroïsme et d'abnégation, c'est-à-dire qu'il est resté quand personne d'autre ne restait à Marioupol.

N. DENDIAS : Et ce c’était par son choix, pas sur des ordres qu’il a reçus, et je dois le dire en son honneur. Lorsque la dernière mission d’évacuation « Nostos » est partie de Marioupol avec l'Ambassadeur, M. Kostellenos, je l’ai tout d’abord incité à partir, et après on verrait ce qui allait se passer.

N. STRAVELAKIS : Et il est resté, n'est-ce pas ?

N. DENDIAS : Et il a préféré rester.  Et aussi, et je veux le dire car c’est en son honneur, il n'est pas parti sans les Ukrainiens qui étaient dans le même bunker que lui. Il a refusé de partir tout seul.

N. STRAVELAKIS : Un véritable héros.

P. TSIMAS : Et il fallait une négociation continue pour lui assurer un passage sûr.

N. DENDIAS : Avec toutes les parties et dans des conditions trop difficiles. Nous avons eu de la chance car ma visite des jours précédents m'a permis de connaître le bâtiment, le bâtiment particulier, l'existence d'un  abri approprié et je l’ai fait déplacer à temps vers ce bâtiment où il y avait un abri où il pouvait être protégé car cette région était la cible de bombardements.

N. STRAVELAKIS : Monsieur le Ministre, merci beaucoup.

N. DENDIAS : Merci beaucoup.

N. STRAVELAKIS : Je pense que vous avez donné des réponses à toutes les questions qui se posent depuis si longtemps que vous n'avez pas parlé.

N. DENDIAS : Je suis très inquiet, M. Stravelakis. Un bon interlocuteur politique est celui qui ne donne pas de réponse à tout.

N. STRAVELAKIS : Vous avez répondu à tout...

P. TSIMAS : Pas tout, parce que certaines questions n'ont évidemment pas été formulées, mais merci beaucoup.

N. STRAVELAKIS : Et j'espère que nous vous verrons à Kiev et que l'initiative grecque sera couronnée de succès et que tout se passera bien pour le pays.
Merci beaucoup.

April 1, 2022