Interview du Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Alexis Tsipras à l’agence de presse ITAR TASS

Interview du Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Alexis Tsipras à l’agence de presse ITAR TASSPropos recueillis par le journaliste Mikhail Gusman

JOURNALISTE : Monsieur le Premier ministre c’est une vraie joie pour moi de vous rencontrer de nouveau ! Il est dix heures du soir et vous travaillez encore. Je comprends que c’est un jour difficile et notre rencontre se tient quelques heures avant votre visite à Moscou.

Ce n’est pas la première fois que vous visitez notre pays. Vous aurez en Russie des entretiens, des entretiens avec le Président russe, Vladimir Poutine. Qu’attendez-vous de cette visite et comment qualifieriez-vous votre dialogue personnel avec le Président russe ?

A. TSIPRAS : Tout d’abord, je vous remercie d’être venu en Grèce. C’est la deuxième fois que j’ai l’honneur de vous accorder une interview. Et c’est un grand plaisir pour moi de pouvoir communiquer à travers votre station, avec le peuple ami russe. C’est ma troisième visite en ma qualité de Premier ministre en Russie. La première, à Moscou, a eu lieu à peine quelques mois après mon élection en 2015. La deuxième a eu lieu à Saint-Pétersbourg en 2015, dans le cadre du forum de Saint-Pétersbourg.

A l’époque la Grèce traversait une période difficile. Nous avons assumé la gouvernance du pays à un moment crucial, au milieu de négociations difficiles et sous la menace de la banqueroute. Toutefois, nous sommes parvenus, je pense, à surmonter la crise. Notre choix stratégique dès la prise de mes fonctions était l’approfondissement des relations gréco-russes, le dégel si vous voulez de ces relations, car pendant une grande période, malgré les liens d’amitié étroits qui unissent les deux peuples et leurs relations diplomatiques de longue date – cela fait maintenant 190 ans que nos deux pays entretiennent des relations diplomatiques ininterrompues – les relations entre les deux pays n’étaient pas toujours aussi constructives. J’ai donc visité deux fois la Russie, le Président Poutine a effectué une visite en Grèce en 2016 à l’occasion de l’Année Grèce-Russie. Par conséquent, j’espère que cette visite assurera le suivi de ces efforts communs.

Et, bien évidemment, je voudrais aussi signaler que pendant toute cette période, en dépit des difficultés qui ont souvent émaillé nos relations, j’entretiens toujours avec le Président Poutine une relation sincère et substantielle et un dialogue franc et crédible.

JOURNALISTE : Comme vous l’avez bien constaté, nos relations datent depuis 190 ans. Et, inutile de dire que nos relations se développent intensivement dans un très grand nombre de domaines. Tant vous que le Président Poutine avez consenti de grands efforts dans ce sens et des progrès sont réalisés dans tous les domaines. En dépit de cela, quels sont les domaines à votre avis où nos relations se développent avec succès et quels sont les autres domaines où il faut consentir plus d’efforts et lesquels offrent des opportunités (et je pense que vous allez débattre de cette question avec le Président russe dans les jours à venir) ?
A. TSIPRAS : Certes, des progrès substantiels ont été accomplis dans le domaine de la culture. Il y a eu, comme je l’ai tout à l’heure affirmé, l’Année Grèce-Russie, une période très constructive pour nos relations. Des progrès ont été également accomplis au niveau de la coopération économique et commerciale. Il y a eu des investissements de la part de la Russie, pour ce qui est notamment de l’acquisition des biens, dans le domaine de l’immobilier.

Le nombre de touristes russes qui ont visité notre pays ces dernières années a considérablement augmenté et j’espère que ces derniers ont passé des moments très agréables dans notre pays.

Toutefois, il existe encore des possibilités très importantes. Il existe d’importantes possibilités pour réaliser des investissements stratégiques en Grèce, notamment à l’heure actuelle, où la Grèce a surmonté cette grande crise économique à laquelle elle était confrontée les années précédentes et maintenant des perspectives très importantes s’ouvrent à elle. Il y a par conséquent des occasions et des possibilités de caractère stratégique, comme je l’ai affirmé, des investissements dans des infrastructures, des ports, dans le secteur de la transformation ainsi que dans l’agroalimentaire.

Notamment dans domaine de l’énergie, le choix stratégique de la Grèce est de devenir une plaque tournante énergétique et de transit et je pense que toutes ces questions domineront nos discussions avec le Président Poutine au cours de ma visite dans quelques jours à Moscou.

JOURNALISTE : Vous avez rappelé la coopération entre nos pays dans le domaine de l’énergie. Je sais que la Grèce a manifesté un intérêt à l’égard de l’importation du gaz russe à travers le gazoduc «Turkish Stream». Que faut-il faire à votre avis pour que le gazoduc «Turkish Stream» devienne «Greek-Turkish Stream» ?

Quels sont vos arguments envers Bruxelles car j’imagine qu’il faut que vous en discutiez avec vos partenaires européens, n’est-ce pas ? Quels sont vos arguments à l’égard de la Russie en vue de réaliser ce projet ?

A. TSIPRAS : Tout d’abord, force est de signaler que le domaine de la coopération énergétique est très important pour les relations gréco-russes. Nous pensons que la Russie est un partenaire important dans le domaine énergétique puisque elle dispose d’importantes ressources énergétiques. Et, bien évidemment, comme tout le monde le sait, depuis ma prise des fonctions en 2015, la Grèce exerce une politique étrangère multidimensionnelle et active ainsi qu’une politique multidimensionnelle et active dans le domaine de l’énergie. Par conséquent, nous avons, ainsi que d’autres pays européens, la conviction que dans le cadre d’une politique énergétique multidimensionnelle, de répartition des sources et des flux d’énergie, la Grèce et d’autres pays européens devront établir une coopération avec la Fédération de la Russie pour le transport aussi du gaz naturel russe vers l’Europe à travers le gazoduc Turkish Stream et, s’agissant de ce dernier, nous étions les premiers à avoir l’idée de mettre en place aussi un gazoduc European Stream, et non seulement Turkish Stream. Un processus de dialogue est en cours au sein de l’Union européenne.

Je pense que nos arguments sont solides. Nous avons de la persévérance et de la patience et je pense qu’on aura des résultats positifs à l’avenir.

Dans le même temps, je dois vous dire que la Grèce a considérablement avancé les travaux relatifs audit couloir sud et au gazoduc TAP qui passe par la Turquie en allant vers la Grèce et l’Italie. Par conséquent, nous pensons que la possibilité d’avoir encore un gazoduc parallèle à ce trajet est réaliste et dans la mesure où nous devons tous être d’accord au sein de l’Union européenne, dans le cadre de la logique de la répartition et de la stratégie multidimensionnelle pour ce qui est des sources d’énergie multiples et des multiples flux d’énergie en vue d’assurer ce que nous appelons la sécurité énergétique au sein de l’Union européenne.

JOURNALISTE : Je voudrais passer de la sphère matérialiste à la sphère spirituelle que je considère plus importante que la première.

Premièrement, nos pays sont probablement unis par le fait que la Russie et la Grèce sont des pays de conviction orthodoxe avec une histoire chrétienne très riche et une civilisation très riche. Il est vrai que vous avez, à ma connaissance, votre propre relation avec l’église. Quoi qu’il en soit, lors de la cérémonie de prestation de serment, vous n’avez pas prêté serment sur l’Evangile mais sur la Constitution mais cela est votre choix. En dépit de cela, l’église de la Russie, l’église orthodoxe russe et l’église orthodoxe grecque entretiennent des relations de longue date malgré la distance qui sépare les deux pays du point de vue géographique. Que pensez-vous de la relation entre les deux églises, des liens interreligieux entre la Russie et la Grèce et quel est le rôle de ces relations entre la Grèce et la Russie ?

A. TSIPRAS : La Grèce, comme vous le savez, est un pays qui a une longue tradition pour ce qui est de ce parcours parallèle de l’histoire de la nation grecque et de la foi religieuse, de la foi orthodoxe depuis la fondation de l’Etat grec jusqu’à ce jour.

Toutefois, c’est un pays qui, conformément à sa constitution, permet à tous ses citoyens d’embrasser la religion de leur choix et de croire au Dieu qu’ils veulent. Dans notre pays il y a la tolérance religieuse.

Et dans le même temps, dans notre pays la religion dominante est l’orthodoxie. Néanmoins, il y a des citoyens grecs qui embrassent d’autres religions. Par conséquent, je dirais que la Grèce est un Etat neutre du point de vue religieux, la religion dominante dans le pays étant, bien évidemment, la foi orthodoxe chrétienne.

Je disais toutefois tout à l’heure que l’histoire de l’Etat grec, de la nation grecque et les luttes du peuple grec pour son indépendance et sa liberté sont parallèles à des moments importants lors desquels la foi religieuse a encouragé et a inspiré cette lutte. Cette culture et cette tradition sont très importantes pour la Grèce et indépendamment des convictions personnelles de chacun, et notamment lorsqu’on exerce les fonctions de Premier ministre comme moi-même, on doit prendre cela très au sérieux. Et ce, non seulement au niveau de la société mais aussi en tant qu’élément important portant sur la diplomatie et la politique étrangère. Cela je pense est un élément qui, comme vous l’avez constaté, a été un facteur fondamental dans l’élaboration de notre politique en tant que pays mais aussi personnellement en tant que gouvernement ces derniers temps.

Néanmoins, je dois signaler que les questions portant sur les relations étatiques relèvent de la responsabilité des gouvernements et les affaires de l’église relèvent de la responsabilité de cette dernière. C’est-à-dire les questions qui concernent l’église et nos églises sont des questions ecclésiastiques qui doivent relever exclusivement des chefs de nos églises.

JOURNALISTE : Je sais que la Grèce et vous personnellement avez pris l’initiative de faire de 2019 une année consacrée à la Langue et à la Littérature pour nos pays. A ma connaissance, cette initiative est connue de Moscou et vous allez probablement en discuter avec le Président Poutine. Comment avez-vous eu cette idée et qu’est-ce que vous attendez de cette année dédiée à la langue et à la littérature pour nos pays ?

Α. TSIRPAS : Je pense que c’est une très bonne idée car, si vous voulez, cette amitié profonde qui unit nos peuples et les sentiments de respect mutuel qu’éprouvent nos peuples l’un à l’égard de l’autre, sont dans une large mesure axés sur le respect mutuel de nos civilisations. Les convictions religieuses que vous avez tout à l’heure évoquées sont également très importantes mais le respect et l’estime à l’égard de nos civilisations est encore un élément très important. Et de cette manière nous donnons, à mon avis, l’occasion à un approfondissement substantiel à ce que nous appelons estime et l’amitié gréco-russes.

Comme vous devez le savoir, le peuple grec a une grande estime pour la civilisation et la littérature russes de la période avant la révolution ainsi que de celle de l’avant-garde russe et au-delà de celle-ci. Je suis certain que le peuple russe tient la langue grecque ancienne, la civilisation grecque ancienne et la littérature grecque ancienne mais aussi la littérature moderne en grande estime. Par conséquent, je pense que l’initiative d’enseigner dans nos universités ici et dans celles de la Russie la langue russe et la langue grecque respectivement ainsi que de traduire des œuvres de grands écrivains afin que nous devenions des communicateurs de nos cultures et que les jeunes générations puissent lire les œuvres de Dostoïevski, d’Aristote et de Platon, est une évolution très positive.
JOURNALISTE : Vous avez très bien dit monsieur le Premier ministre que ces liens culturels, ces liens humanitaires ne pourraient qu’influencer la politique étrangère russe, l’attitude des Russes et des Grecs. J’espère que les Grecs adopteront la même attitude à l’égard de la Russie. Au regard de nos profondes relations et de notre histoire riche, quel est le rôle que joue la Russie dans le domaine de la politique étrangère de la Grèce ?

Cette année vous n’êtes pas seulement Premier ministre mais vous avez aussi assumé les fonctions de ministre des Affaires étrangères de la Grèce.

Quelle est la priorité générale de la politique étrangère de la Grèce et quel est le rôle de la Russie dans le cadre de cette politique ?

A. TSIPRAS : La vérité est que la Grèce se trouve dans une région revêtant une importance géostratégique particulière. A la croisée de trois continents, sur un point crucial de la carte et par conséquent notre pays joue un rôle extrêmement important.

Toutefois ces dernières années…

JOURNALISTE : Etes-vous heureux ou tristes que la Grèce se trouve à la croisée de trois continents ? Est-ce que cela est considéré comme un avantage ou désavantage pour la Grèce ?

A. TSIPRAS : Il est vrai que cela est à la fois une bénédiction et une difficulté pour nous. Car notre région a toujours été la pomme de discorde des grandes puissances et des puissances régionales qui la convoitaient soit pour la conquérir soit pour la placer sous leur influence dans le monde moderne.

Toutefois, cet élément aussi change probablement les données actuelles par rapport aux trois années et demies précédentes quand j’ai visité pour la première fois le Kremlin. La Grèce n’est pas seulement sortie de la crise. La Grèce a revalorisé son rôle géopolitique dans la région en tant que puissance de stabilité, de sécurité et de coopération. La Grèce est un pays, comme tout le monde le sait, qui appartient à l’UE et à l’OTAN. Elle honore ses engagements. Toutefois, elle maintient entièrement son droit d’entretenir des relations de respect mutuel et de coopération avec d’autres puissances, dans le cadre bien entendu de cette politique étrangère multidimensionnelle, au profit de nos intérêts nationaux mais aussi au profit, je le répète, de la stabilité, du développement et de la coopération dans la région.

Comme vous le comprenez donc, cela nous intéresse beaucoup, en tant que membre de l’UE d’abord de voir des évolutions plus globales en matière de sécurité dans tout le continent. J’ai été l’un des chefs d’Etat et de gouvernement dans le cadre de la réunion au sommet à avoir, à plusieurs reprises, signalé la nécessité d’envisager la sécurité dans notre région comme un cadre unique dont la Russie doit aussi faire partie. Il ne peut y avoir d’architecture de sécurité sans la Russie. Telle est ma position que je ne cesse de répéter depuis trois ans et demi où je participe aux forums européens en ma qualité de Premier ministre.

Par ailleurs, ces derniers temps nous avons assisté à la détérioration de ce que nous appelons la sécurité régionale. Il existe des dangers de plus en plus pressants. Des dangers qui ne peuvent être surmontés qu’à travers le dialogue et en faisant preuve de réalisme.

La Russie est un pays très important, qui ces derniers temps a revalorisé son rôle sur une étendue allant de la Méditerranée, la Libye, la Syrie, le Moyen-Orient jusqu’en Afghanistan et, par conséquent, personne ne peut ne pas prendre en considération ce pays. Personne ne peut ne pas discuter avec la Russie. Et je suis convaincu qu’à travers le dialogue, la discussion et le respect mutuel, nous pourrons mettre en place une architecture de sécurité unique dans notre région.

Pour ce qui est de la Grèce, cette dernière est un pays qui a traversé une crise mais elle sort de cette crise plus forte. Elle a repris un rôle très substantiel, un rôle de leader dirais-je dans les Balkans, en tant que pays qui joue un rôle de stabilisation. Nous avons conclu un accord très important avec nos voisins au nord. Un accord portant sur la perspective de coopération et de paix dans la région. Nous voulons régler les questions qui demeurent en suspens depuis des années. Je ne suis pas partisan de la logique de l’inertie mais d’une politique étrangère audacieuse, active et pacifique.

Par conséquent je pense que cet accord constitue un pas historique qui, pour ce qui est de la Grèce, n’a aucun rapport avec les choix de nos voisins, à savoir si ces derniers adhèreront ou non à une organisation internationale mais il porte sur le règlement d’une question en suspens relative à l’appellation du pays voisin, appellation qui sera désormais changée ce qui donnera la possibilité à des dizaines de pays dans toute la planète, parmi lesquels la Russie aussi, de ne plus le reconnaitre sous son appellation constitutionnelle actuelle, à savoir sous l’appellation “République de Macédoine” mais d’ajouter à cette appellation la détermination géographique “Macédoine du Nord” car la Macédoine est pour nous un élément très important de notre patrimoine et de notre culture grecs anciens et par conséquent il y a ici une distinction bien claire et franche. Par conséquent, pour moi cela est un pas important.

En outre, nous nous attendons à ce que des pas importants soient réalisés pour ce qui est du dialogue avec la Turquie mais aussi à ce que des efforts constants soient déployés en vue de régler la question chypriote sur une base juste et durable et cela signifie la réunification de l’île, le retrait de l’armée d’occupation et la suppression des modèles de garanties obsolètes des pays tiers.

Et, à mon avis, à cet égard la Russie fait preuve traditionnellement d’une attitude très positive et elle joue un rôle positif. Mais, bien entendu, une question cruciale pour notre politique étrangère est la coopération, le dialogue sur la Méditerranée du Sud-est ainsi que la question d’assurer notre accès à des sources d’énergie et leur transport depuis la Méditerranée du Sud-est vers l’Europe.

Tels sont, si vous voulez, les axes cruciaux qui nous intéressent en matière de politique étrangère et c’est un grand plaisir pour moi d’avoir l’occasion de discuter de ces axes avec le Président Poutine dans les jours à venir.

JOURNALISTE : Il y a quelques années, M. le premier ministre, vous aviez dit que vous porteriez une cravate lorsque la Grèce se serait débarrassée de ses dettes. Etant donné qu’aujourd’hui vous ne portez pas de cravate, nous en concluons que la Grèce a toujours des dettes. Il est vrai que vous avez pris les commandes du pays à une période très difficile, mais la situation ne cesse de s’améliorer et ici, bien entendu, votre rôle est important. Premièrement, comment avez-vous réussi et qu’est ce qui doit être encore fait pour que vous portiez une cravate ?

A. TSIPRAS : Vous devez savoir que j’ai porté une cravate. Je l’ai portée lorsque nous avons conclu un accord très important avec nos partenaires européens qui, en réalité, permet de normaliser la situation pour rembourser ces dettes…

JOURNALISTE : Je cherche ces séquences pour nos archives…

A. TSIPRAS : Je l’ai portée et l’ai retirée le même jour en disant, dans mon discours, que pour moi cette apparence constitue un uniforme de travail. J’ai réussi à être sans doute le seul leader européen à être entré sans cravate dans les fora les importants, les sièges les plus importants de gouvernements, du Kremlin à la Maison Blanche, en passant par le Vatican et Downing Street, dans le monde entier, à Pékin aussi. Je pense donc qu’il s’agit d’une conquête importante…

JOURNALISTE : Récemment à Pékin aussi vous n’avez pas porté de cravate…

A. TSIPRAS : En effet, c’était plus facile. Je veux dire qu’outre le symbolisme, ce qui est important est que grâce à cette réussite, c’est comme si le nœud que l’on avait au cou était défait. Je veux parler de la réussite pour la dette grecque. La dette n’a pas été abolie, certes. Mais un moyen a été trouvé, à travers le délai de maturité des remboursements et la période de grâce, de conférer une zone de confort de 15 ans pour la Grèce, ce que reconnaissent les investisseurs et qui permet de créer un climat très positif en Grèce pour les investissements. Les investissements ont considérablement augmenté. Nous avons le meilleur record de cette dernière décennie, avec une perspective de le battre à l’avenir. Car pour nous les investissements sont synonymes de croissance et la croissance est synonyme de travail, d’emploi. Et bien entendu, j’aimerais le souligner puisque je m’adresse au peuple russe, et dire que la Grèce est un pays traditionnellement favorable à la Russie et aux citoyens russes. C’est un pays favorable non seulement au tourisme, mais aussi aux investissements, car il représente une destination attrayante pour les investisseurs. Je pense qu’il y a d’importantes opportunités, un climat amical. Par conséquent, il faudrait en tenir compte car, vous savez, dans les périodes de crises, peu sont ceux qui ont été à nos côtés, du moins qui nous ont soutenu psychologiquement. Et nous en sommes reconnaissants. Pour ceux qui ne nous ont pas soutenus, ils voient la Grèce comme une opportunité et investissent. Ce serait dommage que les investisseurs russes ne tirent pas profit de cette occasion.

JOURNALISTE : Les investissements sont, bien entendu, exceptionnels et vous avez à juste titre souligné le tourisme. A ma connaissance, de plus en plus de touristes russes viennent en Grèce. La Grèce est un pays populaire, doté d’une histoire, avec des endroits magnifiques et paradisiaques. Je suppose que le gouvernement doit entreprendre des actions supplémentaires pour augmenter le flux de touristes russes en Grèce. Sans doute prendre des décisions supplémentaires, afin que les Russes puissent se rendre plus facilement en Grèce, en tant que touristes.

A. TSIPRAS : Tout d’abord, je pense que le flux de touristes russes en Grèce a augmenté. Toutefois, il y a des possibilités, notamment au niveau du tourisme thématique, religieux afin d’attirer l’intérêt des citoyens russes de visiter la Grèce. Et je pense que nous allons d’ores et déjà dans cette direction et nous irons avec des pas plus rapides. Il faut que tout le monde comprenne, et c’est le message que je veux transmettre aux citoyens russes qui nous regardent, que la Grèce est plus qu’une destination touristique. La Grèce, ce ne sont pas seulement les beautés naturelles, qui sont uniques pour ceux qui ont notamment visité les îles grecques. La Grèce c’est aussi son histoire, sa culture, sa philosophie, sa gastronomie. Et je pense que parce que cette histoire et cette culture ont une tradition séculaire, un parcours parallèle à celui du peuple russe, visiter la Grèce, plutôt qu’un autre pays, est une expérience unique. Je sais que sur les côtes turques, la beauté est la même car nous nous trouvons au même endroit. Mais après avoir visité la Grèce, l’expérience est unique et irremplaçable.

JOURNALISTE : J’aimerais parler de l’un de vos passe-temps que partagent des millions de Russes, à savoir le football. Je sais que c’est votre sport favori, que vous-même jouiez au football et que, de manière générale, vous avez la démarche d’un footballeur. Vous avez eu l’idée de soumettre une demande conjointe avec la Bulgarie, la Roumanie et la Serbie pour la coupe mondiale de 2030. En Russie, tout naturellement, après la Coupe du Monde, nous suivons de près la situation pour savoir qui sera le prochain, cela nous intéresse. Je comprends que vous planifiez de proclamer l’ouverture de la Coupe du Monde en tant que Premier ministre en 2030. Quels sont vos projets à cet égard ?

A. TSIPRAS : Tout d’abord, j’aimerais transmettre mes félicitations pour l’organisation réussie de la Coupe du Monde de cet été. En effet, c’était une organisation exceptionnelle et de qualité, je dirais même, car j’ai suivi la quasi-totalité des matchs. L’équipe nationale de Russie a eu un parcours particulièrement intéressant, avec votre butteur qui a réussi à attraper le pénalty, mais lors du dernier match, vous n’avez pas eu de chance. Ainsi, j’aimerais dire que le sport, et notamment le football, unit les peuples, il doit unir les peuples. C’est le sport des pauvres, comme on dit. Toute la planète regarde le football. J’ai donc pris une initiative et j’ai proposé à mes partenaires…

JOURNALISTE : Si l’on tient compte des salaires que touchent les footballeurs, pas vraiment pauvre je dirais…

A. TSIPRAS : C’est le sport préféré des pauvres qui est exploité par les riches. Mais je disais que c’est parce que le sport peut unir que nous avons eu l’idée, que j’ai proposée à mes amis les premiers ministres et présidents des trois pays des Balkans, la Serbie, la Bulgarie, la Russie, de soumettre une candidature conjointe.

Et voilà pour ce qui est de cette idée. Pendant de nombreuses années, nous étions habitués à ce que les Balkans soient la poudrière de notre région. La première guerre mondiale est partie des Balkans qui étaient également au cœur de la deuxième guerre mondiale. Tout de suite après, les nationalismes, la guerre en Yougoslavie, les conflits, les haines. Encore aujourd’hui il en est question. Le message que les quatre pays balkaniques veulent transmettre, c’est que nous laissons derrière nous la période des discordes et nous unissons nos forces vers un but commun positif, pour remporter ce grand tournoi. Ce message est fort, indépendamment de savoir si nous réussirons ou pas à gagner.

JOURNALISTE : Monsieur le premier ministre, je sais que dans le passé vous vous déplaciez en moto, maintenant vous vous déplacez en voiture. Qu’est ce qui est plus parlant pour vous, la moto de votre jeunesse ou bien la voiture de premier ministre ?

A. TSIPRAS : Sans aucun doute les motos. Vous savez pouvoir conduire avec sécurité et rouler vite en moto procure un sentiment de liberté. C’est un sentiment unique qui me manque malheureusement ces dernières années.

JOURNALISTE : Monsieur le premier ministre. Je me souviens de notre précédente rencontre. Puisque notre émission a pour titre «Formula of Power», je vous avais demandé quel type de pouvoir vous préfériez. Vous veniez d’assumer vos fonctions et m’aviez répondu à l’époque, à juste titre, que vous n’y aviez pas encore gouté. Toutefois, connaissant votre CV, je pense que vous avez donné votre premier ordre lorsque vous avez servi à la marine nationale. Vous y étiez, n’est-ce pas ?

A. TSIPRAS : J’ai eu la chance et la malchance de devenir premier ministre à une période à la fois historique et difficile. Sans doute la période la plus historique et la plus difficile de la démocratie moderne de l’après-junte. De ce fait, je dirais que ce goût est un goût aigre-doux. Doux parce que vous êtes dans une position où vous devez prendre des décisions historiques et que vous jouissez de la confiance de vos concitoyens, de l’amitié de votre peuple, cela est très important. Je pense avoir vécu les moments les plus exceptionnels par rapport à tous les moments de l’histoire qu’ont vécus mes prédécesseurs, à l’exception sans doute de la période de l’après-junte. Dans le même temps, ce goût est amer, dans le sens où les difficultés étaient très grandes et les décisions très difficiles. Et la mise en œuvre de ces décisions aussi, afin que nous puissions aujourd’hui dire que la Grèce est sorti des mémorandums, de la crise, qu’elle considère l’avenir avec plus d’optimisme, où nous avons 300 0000 chômeurs de moins. Ces moments ont été difficiles, tout comme l’effort que nous déployons pour sortir de cette crise en prenant des décisions difficiles.

Par conséquent, lorsque l’on fait le bilan et que celui-ci est positif, c’est cela qui importe, et aussi d’avoir sa conscience tranquille d’avoir pris des décisions difficiles dans l’intérêt du peuple dans sa majorité. Je pense que je peux vous dire mon expérience et vous la transmettre en toute honnêteté et dire qu’en dernière analyse, cela en valait la peine.

JOURNALISTE : Monsieur le premier ministre, l’ancienne belle capitale d’Athènes, est, à la veille de Noël et du Nouvel An, décorée avec des lumières éclatantes et bientôt les Grecs et les Catholiques fêteront Noël et il ne reste que quelques jours jusqu’au Nouvel An. Puis-je vous demander, Monsieur le premier ministre, de souhaiter aux Russes ce que vous pensez leur souhaiter pour la nouvelle année.

A. TSIPRAS : Je leur souhaite bonheur, prospérité et paix et plus d’optimisme pour 2019. Que cette année soit synonyme de prospérité et de progrès pour le peuple russe et tous les peuples du monde.

December 10, 2018