JOURNALISTE : C’est un grand honneur pour nous aujourd’hui que le ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias, ait accepté l’invitation de participer à cette conférence. Bonjour.
Tout le monde s’accorde pour dire que vous êtes l’un des ministres les plus actifs et efficaces de ce gouvernement. Nous sommes donc heureux de vous avoir parmi nous.
Permettez-moi de commencer notre discussion par le dossier gréco-turc. Nous avions, lundi, la visite du ministre des Affaires étrangères de la Turquie, Mevlut Cavusoglu, à Athènes et c’était une visite qui a fait l’objet de nombreuses discussions sur trois points. Le premier était la promenade que vous avez faite du Palais Maximou au ministère des Affaires étrangères. Le deuxième était vos déclarations conjointes au ministère des Affaires étrangères qui ne rappelaient en rien la conférence de presse conjointe que vous aviez donnée à Ankara en avril et le troisième était cette expansivité dont vous avez fait preuve au dîner, au pied de l’Acropole, et après au ministère des Affaires étrangères. Je voulais donc demander, sommes-nous passés de la diplomatie des canonnières à la diplomatie des étreintes ?
N. DENDIAS : Tout d’abord, concernant la question des étreintes, je sais que cela a fait l’objet de commentaires. Je n’ai jamais caché le fait qu’avec Mevlut Cavusoglu, nous nous connaissons et sommes amis depuis 20 ans. Et je pense justement que suite au « heurt » lors de la conférence de presse à Ankara, il voulait montrer que la cordialité n’a pas été affectée. D’ailleurs, vous savez qu’il est plus facile de discuter avec quelqu’un qui est votre ami et avec lequel vous entretenez une relation personnelle.
Cela étant, il est vrai que c’était une visite tout à fait différente. Cependant, il ne faut pas nous laisser berner par le fait que le climat était différent. Le climat était différent car nos désaccords avaient été clairement exprimés publiquement et je dois dire que cela a été réitéré lors de cette visite.
Ce qui s’est passé et qui constitue une nette amélioration, est le fait que la partie turque a compris, je crois, de la manière la plus claire, qu’indépendamment des désaccords qui puissent exister, indépendamment des approches totalement opposées qui puissent exister, elle doit agir dans un cadre qui ne provoque pas l’autre partie et ne pas enfreindre le droit international. Lorsque cela se passe, nous pouvons gérer nos désaccords.
JOURNALISTE : En ce qui concerne vos discussions, lors des discussions bilatérales mais aussi élargies au ministère des Affaires étrangères, la délégation turque a soulevé toutes les questions qu’elle soulève publiquement également ? Par exemple, M. Cavusoglu et la partie turque ont soulevé la question de la démilitarisation des îles grecques ou encore des questions de souveraineté ? Et je vous pose la question car souvent, ces derniers temps, la partie turque et le ministre turc des Affaires étrangères lui-même ont parlé de « soulever des questions de démilitarisation et de souveraineté ».
N. DENDIAS : Je ne vais pas vous dire ce qu’a dit la partie turque, car cela n’est pas juste. C’était une rencontre toutes portes fermées. Mais je vais vous dire ce que nous avons dit, car j’ai le droit de le faire. Et nous avons dit tout ce qui devait être dit, tout.
JOURNALISTE : C’est-à-dire ?
N. DENDIAS : Le fait que cela constitue un différend gréco-turc et une attitude infractionnelle de la part de la Turquie, selon la partie grecque, a été soulevé et continuera d’être soulevé. Il est exclu que nous nous écartions de nos positions nationales immuables.
Donc, nous devrons voir les deux à deux niveaux. Oui, le climat est celui d’une gestion des désaccords importants entre la Grèce et la Turquie. Or, ces désaccords existent et la partie grecque continuera de les pointer du doigt.
Je l’ai dit lors de la conférence de presse également. Le ton était différent, certes. Rien n’avait été dit par l’autre partie qui m’aurait contraint à réagir. Or, j’ai dit qu’il y a d’importants désaccords et des points de vue diamétralement opposés sur un grand nombre de questions. C’est ce que j’ai dit.
Donc, il ne faut pas donner l’impression que soudainement, par magie, les désaccords gréco-turcs ont été résolus. Ce n’est pas du tout cela. Ils existent, ils sont là. Nous espérons que la Turquie renoncera à l’avenir à son attitude infractionnelle, ce qui nous permettra de créer un climat propice à la discussion de ces questions et peut-être, à un moment donné, si la Turquie change de positions, à la résolution de celle-ci.
JOURNALISTE : Vous avez, vous aussi, parlé de la conférence de presse et l’image qui a été donnée est que M. Cavusoglu viendrait prendre une sorte de revanche par rapport à ce qui s’était passé lors de la conférence de presse à Ankara.
N. DENDIAS : Ce n’est pas un match de football. A Ankara, si vous vous souvenez – maintenant cela n’a aucun sens que j’interprète les choses – des prises de position publiques avaient été faites sur des questions qui obligeaient tout ministre grec des Affaires étrangères, quel qu’il soit – pas moi – qui se trouvait là-bas, à répondre. Ce n’est pas un « choix à la carte » de répondre ou de se taire. Le pays a des positions nationales bien précises, solidement fondées sur le droit international. On est obligé de les réitérer publiquement, si cela est nécessaire. Autrement, on peut considérer que le pays s’écarte de ses positions et adhère à un autre point de vue. Cela ne peut être permis.
Et je le redis, ce n’est pas une question personnelle. Ce n’est pas une question de gouvernement Mitsotakis ou de prise de position du Premier ministre. C’est une question purement nationale. J’estime que tout ministre grec qui se serait retrouvé dans la même position que moi à Ankara, aurait eu la même réaction.
JOURNALISTE : En effet, M. Cavusoglu, lors de la conférence de presse de lundi, était très prudent et le ton qu’il a employé ainsi que son vocabulaire ne rappelaient en rien le ton vif employé à Ankara en avril. Or une interview avait été accordée au préalable au journal « TO VIMA TIS KYRIAKIS », où M. Cavusoglu avaient, entre autres choses, dit que la Turquie ne rejette pas l’extension des eaux territoriales jusqu’à 12 miles nautiques, lorsque les circonstances le permettent. Je voulais donc vous demander si Athènes discute à l’heure actuelle de l’extension progressive des eaux territoriales en Egée.
N. DENDIAS : Nous n’allons pas discuter de l’extension de nos eaux territoriales avec la Turquie et avec aucun autre pays d’ailleurs. Sur la base du droit de la mer et de l’UNCLOS, l’extension des eaux territoriales à 12 miles est notre droit souverain national. Le pays le fera lorsqu’il juge que cela sert son intérêt national.
La Turquie a une vision particulière des choses. Tout d’abord, elle n’a pas co-signé l’UNCLO. Une erreur à mon avis, mais c’est la position turque. Deuxièmement, elle a émis un casus belli à l’encontre de la Grèce, ce qui est totalement inadmissible. Elle est le seul pays de la planète – le seul, je le souligne – à avoir émis une menace de guerre, à avoir menacé de guerre un autre pays, dès lors que cet autre pays exerce son droit légal.
A cet égard, la Turquie est minoritaire et seule et il ne faut pas manquer de souligner cela. Il ne faut pas l’oublier.
JOURNALISTE : Et c’était l’une des questions que vous avez soulevées, Monsieur le ministre, la question du casus belli, selon les sources diplomatiques, du moins, vous avez dit à M. Cavusoglu…
N. DENDIAS : Vous savez, cela n’a aucun sens pour moi de répéter ce que j’ai soulevé ici, car je suis le vecteur de l’expression des positions nationales. Tout ministre grec des Affaires étrangères est tenu de soulever cela. Ce n’est pas possible de parler avec le ministre turc des Affaires étrangères et de ne pas soulever le caractère inadmissible du casus belli. Cela est tout à fait évident.
JOURNALISTE : Mais le problème, Monsieur le ministre, est qu’ils ne se conforment pas. Vous soulevez le casus belli, nous parlons de nos droits, mais il semble que la Turquie fait semblant de ne pas entendre. Elle fait comme si elle ne comprenait pas les positions grecques et le droit international.
N. DENDIAS : La Turquie a une approche totalement différente, je vous l’ai dit. Je n’ai pas l’intention de donner l’impression – c’est pourquoi je vous le dis – que tout est rose. Mais quel est le problème ? La Turquie ne doit pas se comporter de manière à violer le droit international. À savoir quels points de vue a la Turquie, cela la concerne. L’attitude de la Turquie, néanmoins, cela est important, comme son comportement infractionnel qui s’est manifesté l’été dernier.
En d’autres termes, notre pays ne peut pas accepter cela. Ce que nous espérons est que la Turquie comprenne que cette attitude infractionnelle ne lui est pas bénéfique et ne mène nulle part, si ce n’est que d’empirer et de détériorer nos relations.
JOURNALISTE : Vous avez parlé de la tension que nous avons eue l’été dernier. Maintenant, après les contacts exploratoires, nous nous dirigeons vers une rencontre de haut niveau à l’OTAN, le 14 juin. Vous avez eu vos consultations, pensez-vous que cet été sera plus calme ? Est-ce que les eaux seront calmes ou bien aurons-nous de nouveau un navire Oruç Reis sur le plateau continental grec ?
N. DENDIAS : Pour vous dire la vérité, je l’espère car je ne voudrais pas revivre ce que j’ai vécu l’été dernier. Cela étant, telles sont les indications.
J’espère que la Turquie s’écartera de son attitude infractionnelle et j’aimerais dire quelque chose que nous avons directement transmis à la partie turque, à savoir que la Turquie sera tout aussi prudente en ce qui concerne les questions ayant trait à Chypre.
JOURNALISTE : Avant que M. Cavusoglu vienne à Athènes et commence sa visite officielle, il avait eu le week-end, dimanche pour être précis, une visite à Thrace, laquelle a été qualifiée de visite privée. Toutefois, M. Cavusoglu n’a certes pas haussé le ton contrairement à ce que nous avions pu voir lors des visites respectives de hauts fonctionnaires turcs. Mais par la suite, il a posté une vidéo.
Je voulais savoir ce que vous pensez de cette visite de M. Cavusoglu à Thrace et de la réaction des Pomaques, qui ont dit que M. Cavusoglu est persona non grata à Thrace.
N. DENDIAS : En ce qui concerne ce qu’a dit le ministre turc à Thrace, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, M. Papaioannou, s’est positionné « on camera » à ce sujet. Je pense donc que cette question est close.
Nombreux sont ceux qui nous ont demandé pourquoi vous le laissez aller, etc. etc. La Grèce est un pays qui a confiance en elle. Un pays européen qui respecte le droit international et il n’a rien à craindre.
Nous ne sommes pas le pays qui va imposer des interdictions. Mais – et M. Papaioannou a répondu à ce sujet – nous sommes un pays qui formule directement ses points de vue lorsque l’autre partie formule des allégations totalement infondées.
JOURNALISTE : Laissons de côté les relations gréco-turques et passons au dossier chypriote, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. Tout d’abord, je voulais vous demander votre commentaire sur les déclarations de Tayyip Erdogan, qui avait affirmé qu’il irait dans les territoires occupés le 20 juillet, le jour de l’anniversaire de l’invasion et qu’il inaugurera une base avec des drones armés.
La première partie de ma question sur le dossier chypriote est celle-là et la deuxième, comment entendez-vous la proposition de l’opposition de relier la perspective de révision de l’Union douanière à la relation Union européenne – Turquie, avec la reconnaissance de la République de Chypre et la perspective de saisir la cour de justice de la Haye. Voyez-vous d’un œil positif cette proposition de l’opposition ?
N. DENDIAS : Je dirais tout d’abord que ma pensée et mon conseil à la partie turque – pour ce qu’il vaut – est d’éviter les provocations ultérieures à Chypre et dans le dossier chypriote. De toutes façons, la Turquie est complètement en faute dans le dossier chypriote. La Turquie a envahi Chypre, utilisant le cadre du Traité de Garantie et demeurant une armée d’invasion.
Quoi que fasse la Turquie à Chypre ne fait qu’empirer un problème particulièrement difficile et ne facilite absolument pas sa résolution. Mais moi j’espère. Je ne peux conseiller le Président Erdogan, mais j’espère que lors de sa visite à Chypre, il évitera tout ce qui pourrait constituer une provocation au droit international. Non seulement à la Grèce ou à la République de Chypre, mais aussi au droit international, à l’Union européenne, à la nécessité d’avoir un cadre de règles global régissant la vie internationale.
Cela étant, vous me demandez plusieurs choses liées au dossier chypriote. Je vais vous dire quelque chose de plus général. Nous sommes bien loin de ce qui permettrait un espoir de résolution de la question chypriote. La présence turque à Genève, il y a quelques semaines, nous a malheureusement conduit au pire point depuis 1974 jusqu’à aujourd’hui. Pourquoi ? Car à partir de 1977, il y avait au moins un cadre convenu de discussions. L’effort visant à parvenir à des règles de fonctionnement d’une fédération bizonale bicommunautaire. C’est la première fois que la Turquie et la partie chypriote turque vient contester ce cadre même. Ce cadre qui a été institué par de nombreuses décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies et une conception commune de toutes les parties jusque récemment.
Nous en sommes donc au pire point. Et la dernière chose dont nous avons besoin, ce sont des provocations supplémentaires.
JOURNALISTE : Oui, malheureusement, il semblerait que la partie turque ne fasse pas marche arrière et qu’elle insiste sur la solution des deux Etats. Et c’est pourquoi sans doute Genève, finalement, n’a pas donné les résultats escomptés, du moins selon la déclaration que vous avez faite à l’issue de la Conférence de Genève.
N. DENDIAS : Genève n’a pas donné de résultat. Effectivement, je suis navré de le dire. Mais ce que nous disons, c’est que la solution à Chypre – pour être exact, la solution partout ailleurs, mais ici nous parlons de la question chypriote – ne peut exister en dehors du cadre du droit international.
Les solutions aux problèmes ne peuvent être des solutions ad hoc. Nous n’allons nulle part ainsi dans la vie, que ce soit dans la vie des hommes ou dans la vie des Etats, ou dans l’histoire de l’humanité. Les solutions sont recherchées dans le cadre octroyé par le droit international et les décisions des Nations Unies.
C’est ce que nous demandons à la Turquie, c’est ce que nous demandons à la communauté chypriote turque et telle est la position grecque et elle le sera toujours.
JOURNALISTE : Avant de laisser la Méditerranée orientale, j’aimerais vous poser une question au sujet de la Libye. L’Allemagne, Berlin, le ministère allemand des Affaires étrangères a annoncé que la prochaine conférence aura lieu le 23 juin et ce sera la première fois que participera le nouveau gouvernement de transition libyen.
Je voulais savoir tout d’abord si Athènes a été invitée à cette conférence et qu’attendez-vous, ainsi que la Grèce, étant donné que vous avez-vous-même effectué de nombreuses visites en Libye et vous êtes en communication directe avec le nouveau gouvernement de transition.
N. DENDIAS : Tout d’abord, la relation de la Grèce avec la situation en Libye est très différente de ce qu’elle était il y a quelques mois. Pourquoi ? Car premièrement, nous avons réouvert notre ambassade, nous avons ouvert un consulat à Bengazi, nous avons visité la Libye, nous discutons avec le gouvernement provisoire libyen. Ce qui n’était pas le cas avec l’administration Sarraj avant.
Donc la Grèce est en communication directe avec la partie libyenne. Malgré cela, nous sommes particulièrement mécontents du fait que l’Allemagne, qui s’entêtait obstinément à une tactique, ne nous a pas invités cette fois non plus à cette rencontre. Et ce mécontentement je l’ai transmis à mon collègue et je pense que cela se fera également au niveau du Premier ministre et bientôt je rencontrerai Jan Kubiš, l’envoyé de l’Union européenne, pour lui communiquer la même chose, bien qu’il n’ait aucune responsabilité là-dedans.
JOURNALISTE : Malgré le fait qu’Athènes ne participera pas à cette conférence, pensez-vous que la question de l’accord conclu entre la Turquie et la Libye ne figure pas à l’ordre du jour ?
Et ne pensez-vous pas que, puisque cet accord n’a pour le moment pas été ratifié par le parlement libyen, l’heure soit venue de discuter de la question de la ratification de l’accord turco-libyen ou bien est-ce que le nouveau gouvernement de transition y songe ?
N. DENDIAS : Je vais vous dire. Ce qui doit être dans l’esprit et la pratique du gouvernement de transition est sa non activation. De toutes façons il est question d’un [accord] inexistant du point de vue juridique, s’est un absurdum juridique, il s’agit d’une situation étrange. C’est un accord conclu dans des conditions précises, qui n’a aucun rapport avec la légalité et la réalité.
Ce que peut, doit et fera, selon nous, le gouvernement actuel à Tripoli est de le laisser lettre-morte. De faire les élections et à partir de là le gouvernement libyen nouvellement élu appliquera le droit international à ce sujet.
En même temps, toutefois, ce n’est pas la seule question en Libye. Ce qui doit être absolument décidé et mis en œuvre est le retrait immédiat des forces étrangères et des mercenaires de la Libye. C’est un impératif. Les forces étrangères doivent partir de la Libye ainsi que les mercenaires – dès demain si cela était possible – et il y a certains pays qui tergiversent et ne veulent pas que cela se produise. Et je parle tout d’abord de la Turquie.
JOURNALISTE : Laissons la Libye et passons un peu plus au nord, dans les Balkans. Je voulais vous demander s’il y a sur la table un scénario de changement de frontières dans les Balkans, car un document officieux (non-paper) anonyme a circulé il y a quelques jours et qui parle de cela. Je voulais donc savoir si vous aviez une information dans ce sens et quelle est la position d’Athènes devant une telle éventualité.
N. DENDIAS : Les Balkans sont une région bizarre. Demain matin je me rendrai au Kosovo, qui rencontre les problèmes que l’on connait bien. La Bosnie – Herzégovine est une autre question comme vous le savez.
Le parcours d’adhésion des Balkans occidentaux n’est pas acquis. C’est un effort très grand et difficile. La dernière chose dont les Balkans ont besoin, ce sont des pensées sur un changement de frontières.
Les Balkans sont une région instable en puissance, notamment dans les Balkans occidentaux. Nul besoin d’aller beaucoup en arrière, il suffit juste de se rappeler ce qui s’est passé la dernière décennie du siècle passé, du 20e siècle. Des choses qui auraient pu se passer au Moyen-âge et qui se sont produites des centaines de kilomètres au nord de Thessalonique et à la fin du 20e siècle, à l’aube du 21e siècle.
Quoi que nous fassions dans les Balkans, cela doit être fait avec la plus grande prudence, pour ne pas déclencher des situations incontrôlées, qui malheureusement sont toujours très près de la surface et de la réalité. Bien plus près que ce que pensent les citoyens ordinaires aujourd’hui. Je dis donc que, premièrement, je ne pense pas que ce document officieux provenait d’un Etat, quel qu’il soit, chef d’Etat ou de gouvernement d’un pays balkanique. D’ailleurs, tous les pays l’ont démenti, même celui qui a été accusé. Mais quoi qu’il en soit, toute référence à un changement de frontières dans les Balkans est un sacrilège. C’est quelque chose de particulièrement dangereux.
JOURNALISTE : En ce qui concerne notamment les relations gréco-albanaises, je voulais demander à quel stade en sont nos consultations pour que nous allions à la Haye. Et nous observons qu’Edi Rama continue d’avoir d’étroits contacts avec Tayyip Erdogan. Je voulais donc demander si les consultations avancent pour que nous allions à la Haye.
Ν. DENDIAS : Je vous dirai. Il y a à cet égard une question qui n’est pas liée aux relations gréco-albanaises mais plutôt aux relations entre le Premier ministre et le Président de l’Albanie. Il existe cette grande controverse quant à la possibilité pour le Président de donner le pouvoir au Premier ministre afin que ce dernier puisse négocier les conditions de l’accord sur le recours à la cour de La Haye, à l’égard duquel Edi Rama a pris publiquement un engagement et je dois dire qu’il l’a, à plusieurs reprises, répété, et donc il n’y a aucun problème à cet égard.
Maintenant, cela dit, je vous prierais de ne pas envisager les relations gréco-albanaises à travers le prisme de l’amitié entre les Albanais et les Turcs, ce qui vous conduit automatiquement à la conclusion que les Albanais ne sont pas des amis de la Grèce. Cela est beaucoup plus complexe. Et, si vous me le permettez, l’Albanie traditionnellement – si vous le voyez en perspective – a fait son choix. Le fait qu’elle souhaite ardemment devenir membre de la famille européenne, ce qui signifie qu’elle doit souscrire à l’ensemble des décisions de l’acquis européen – atteste de ce que deviendra l’Albanie dans 50, 100 et 150 ans. Et vous verrez que l’Albanie affiche un indice de conformité importante aux décisions de la politique étrangère de l’Union européenne.
Par conséquent, il est vrai que l’Albanie entretient des relations étroites avec la Turquie. Il est vrai qu’Edi Rama a des relations personnelles avec le Président Erdogan. Nous savons tout ça. Mais cela ne signifie pas que les relations gréco-albanaises ne présentent pas un fort potentiel d’amélioration.
Et permettez-moi d’affirmer – je le répète – que l’Albanie fait ce que j’aurais également souhaité à la Turquie de faire à un certain moment, de se tourner vers l’Europe, d’embrasser les valeurs européennes et d’essayer de devenir membre de la famille européenne.
Cela conduira, suivant les principes du déterminisme, à son rapprochement de la Grèce à l’avenir. Il suffit de le comprendre et de travailler dans ce sens. Et bien évidemment, nous n’allons faire aucune concession à la partie albanaise. Cette dernière doit pleinement remplir les critères et les modalités de participation à la construction européenne, ce qui comporte, entre autres, le respect absolu des droits de la minorité grecque.
Toutefois, je suis heureux de constater que l’Albanie a fait ce choix. C’est maintenant une question de temps, d’effort mais elle a fait le choix principal.
JOURNALISTE : Une dernière question, monsieur le ministre, concernant les développements en Biélorussie. Nous avons récemment été spectateurs d’un thriller d’espionnage avec cette histoire du vol de Ryanair. Ma question est la suivante : Que pensez-vous des relations entre l’Union européenne et le régime de Lukanshenko ? Est-ce qu’on est en train de discuter de l’imposition de plus de sanctions contre la Biélorussie ?
Ν. DENDIAS : Je pense que nous devons imposer plus de sanctions. Ce qui s’est passé était incroyable. Si nous arrivons à un point où les Etats commettent des pirateries aériennes, cela signifie que l’humanité ne se trouve plus au 21e siècle et qu’elle est bien en retard du point de vue de l’Etat de droit et de la protection de la vie humaine et de la liberté des transports. Ce qui s’est passé vous savez – cet incident était probablement loin de nous et c’est pourquoi nous n’en n’avons pas fait directement l’expérience - était quelque chose d’absolument inacceptable.
Il est inacceptable qu’un pays, et d’autant plus un pays de l’Europe, intercepte un avion qui survole, conformément aux règles internationales, son territoire et enlève et détienne un passager de l’avion et que cela soit toléré par la communauté internationale.
Vous vous souvenez probablement combien le Premier ministre, M. Mitsotakis a durci le ton dans sa déclaration concernant cet incident. Une déclaration qui nous a conduit à affirmer qu’assez c’est assez (« enough is enough ») et d’adopter notre position bien claire au sein du Conseil des ministres ainsi que de soutenir pleinement tout effort visant à imposer des sanctions.
Et si l’Union européenne n’a pas encore imposé de sanctions contre Lukanshenko lui-même c’est parce qu’elle veut lui donner l’opportunité de lancer un dialogue avec l’opposition et de conduire sans heurts le pays à la tenue des élections. Car finalement ce que nous voulons c’est que la société civile fasse entendre sa voix.
Toutefois cet incident ne va être ni oublié ni pardonné. Nous continuerons de demander constamment et avec diligence, la libération de cette personne qui est illégalement détenue par les autorités biélorusses, le rétablissement de la protection des droits de l’homme en Biélorussie, la démocratisation de la société et finalement la tenue des élections.
JOURNALISTE : Vous avez été par ailleurs le premier ministre des Affaires étrangères à vous entretenir avec le ministre des Affaires étrangères de la Russie, Sergei Lavrov. Vous vous êtes récemment rendu en Russie. Est-ce que vous avez débattu de cette question ? Pourriez-vous en général nous parler du niveau des relations russes après cette visite ?
Ν. DENDIAS : Bon, je voudrais à cet égard aussi être franc avec vous. Les relations entre la Grèce et la Russie n’étaient pas au beau fixe lorsque nous, le gouvernement Mitsotakis, avons pris le pouvoir. Et je pense que ces derniers temps nous pouvons constater une amélioration de ces relations sans pour autant négliger nos différends, sans négliger le fait que la Grèce est un pays membre de l’Union européenne qui a imposé des sanctions contre la Russie.
Toutefois, la Grèce a traditionnellement, au sein de l’Union européenne aussi, soutenu qu’il fallait adopter à l’égard de la Russie une approche double, ce que l’on appelle en anglais « dual track approach ». Nous devons avoir de voies de contact. Néanmoins, nous devons respecter pleinement les décisions de l’Union européenne et de l’alliance militaire de l’OTAN, dont nous faisons aussi partie, et faire preuve d’une clarté absolue quant aux questions ayant trait à la démocratie et à la protection des droits de l’homme.
La partie russe peut le comprendre si on lui donne une explication sincère. Elle comprend que la Grèce est membre de l’OTAN et de l’Union européenne. Il est donc important de donner une explication très claire et solide quant à notre terrain d’entente et à nos différends fondamentaux et importants.
JOURNALISTE : Je vous remercie beaucoup monsieur le ministre pour le temps que vous nous avez consacré et l’honneur que vous nous avez fait de participer aujourd’hui à cette conférence. Merci beaucoup.
Ν. DENDIAS : Je vous remercie.
June 3, 2021