Droits de succession patrimoniaux de la communauté grecque / Patrimoine des fondations pieuses de la minorité grecque (Vakifs)
L’usurpation, par divers moyens de centaines de biens immobiliers appartenant aux membres de la minorité grecque (tant de ceux qui étaient des ressortissants turcs à l’ époque et surtout des ressortissants grecs établis en Türkiye), a été le résultat direct des événements susmentionnés des années 1955 et 1964. Les conséquences ultérieures en sont encore visibles aujourd'hui.
La question des droits de succession des ressortissants grecs, descendants des Grecs de Constantinople, d’Imbros et de Ténédos en est un exemple probant. En effet, la Türkiye, au 21e siècle, ne reconnaît toujours pas le droit de succession à ces Grecs. Suite aux recours individuels intentés ayant donné lieu à des arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) à Strasbourg condamnant la Türkiye et en raison de son parcours d'adhésion à l'Union européenne, la Türkiye reconnaît le droit de succession aux citoyens Grecs. Toutefois, elle ignore ou interprète à sa guise le cadre, réglementaire et juridique, intérieur sur l’acquisition de biens immobiliers et contrairement aux dispositions grecques relatives en vigueur pour les citoyens turcs établis en Grèce, elle ne permet pas la jouissance de ce droit. L’administration turque, en usant de méthodes bien déterminées, arbitraires et en apparence légales, s'est appropriée et continue de s'approprier les biens des fondations pieuses (communautés ou églises) de la minorité grecque.
Ά partir des années 1960 et jusqu' à aujourd'hui, la Direction générale des Vakifs de Türkiye, par des actes administratifs dénués de tout fondement juridique, qualifiait d’«occupées» («mazbut») un grand nombre de fondations pieuses et, tout en les occupant, gérait l'ensemble du patrimoine de ces dernières. Par ailleurs, l’Etat turc, à partir de 1936, n’a pas reconnu les biens acquis par les fondations pieuses non-musulmanes, par donation ou achat. Et en dépit du fait que jusqu’en 1974, la non-reconnaissance de l’acquisition de ces biens se faisait par le biais d’actes administratifs et que ces biens revenaient à l’Etat turc, à cette même date, la Cour de Cassation de la Türkiye (Yargitay) a légitimé cette pratique administrative par sa décision.
Pour les biens immobiliers acquis après 1936, force est de souligner la décision rendue par la Cour européenne des Droits de l'homme (2007), qui a rendu justice à l’établissement scolaire de «Grande Ecole de la Nation» en ordonnant le versement d’une indemnisation en sa faveur pour un immeuble qui lui appartenait et qui avait, toutefois, été confisqué par l’Etat turc.
Depuis 2008, la Türkiye, en essayant d’adapter sa législation à l'acquis européen en tant que pays candidat à l’adhésion à l’UE, a initialement apporté certaines modifications à l'ancienne loi de 1936 sur les fondations pieuses. Ces modifications, outre la seule disposition positive sur le déroulement d’élections en vue du renouvellement des conseils d'administration des fondations pieuses de la communauté grecque, n’ont pas apporté de solution aux problèmes majeurs que rencontraient les fondations au sujet de leur patrimoine. Elles n’ont corrigé que quelques irrégularités manifestes du passé. Par exemple, les autorités compétentes turques ont inscrit au cadastre, pour des questions de forme seulement, le nom des fondations auxquelles appartenaient un petit nombre d’immeubles, c’est à dire là où avant cette modification, il n’y avait pas eu d’inscription.
La nouvelle loi turque 5737/2008 sur les fondations pieuses s’est révélée une importante réforme visant au règlement des questions des biens patrimoniaux qui à l’époque demeuraient en suspens. Toutefois, la loi a été appliquée avec des dérogations et des omissions de la Direction générale des Vakifs. La Grèce et ses partenaires à l’UE n’ont toutefois pas manqué de souligner les lacunes et la nécessité d'intervenir du point de vue administratif et juridique pour résoudre les questions qui n’ont fait l’objet d’aucune disposition dans la nouvelle loi.
La modification de la loi sur les Vakifs, en août 2011 et l’ajout d’ un article transitoire relatif ont élargi le champ d’application de ladite loi concernant la restitution des biens ou le versement d’indemnités pour l’usurpation des biens appartenant aux fondations pieuses de la communauté grecque. Cette évolution a été un premier pas vers la réparation des abus arbitraires du passé. Les Vakifs occupés («mazbut»), c’est-à-dire les fondations placées sous l’administration turque, ont été de nouveau exclus dudit règlement. Toutefois, suite à l’application du nouveau cadre, on constate que seulement 23% des demandes soumises pour la restitution des biens ont abouti, tandis que 70% des demandes ont été rejetées comme irrecevables.
Les restrictions imposées sur la jouissance des droits patrimoniaux des minorités en Türkiye sont également reproduites dans le rapport de la Commission européenne sur la Turquie (2020): la Commission européenne constate qu’un grand nombre des réclamations de propriété immobilière est encore pendant soit devant des tribunaux turcs soit devant la Cour européenne des droits de l’homme [1]. De même, dans le Rapport (2016) sur les progrès réalisés par la Turquie : la Commission européenne invite le gouvernement turc à poursuivre le dialogue avec les minorités en vue de parvenir au règlement de ces questions. Par ailleurs, en raison des résultats non satisfaisants de l’application de la loi sur les Vakifs, la Commission européenne appelle la Turquie à adopter un nouveau cadre juridique élargi [2]. La Turquie doit également apporter une solution immédiate, comme le constate le rapport cité ci-dessus, à la question de l’élaboration de règlements portant sur l’élection des conseils administratifs des fondations pieuses. Les règlements électoraux ont été arbitrairement abrogés en 2013 et depuis il est impossible de tenir des élections. L’absence d’ élaboration de nouveaux règlements constitue une violation du droit de vote et d’éligibilité des citoyens turcs, indépendamment de leur religion. Nonobstant les déclarations continues du gouvernement turc de son intention de régler la question, celles-ci restent lettre morte.
[1] European Commission, 2020 Communication on EU Enlargement Policy, Turkey Report, Section 2, Chapter 23, page 38
[2] European Commission 2016 Progress Report on Turkey, Section 4, Chapter 23, page 74