L’hellénisme de l’Asie Mineure et du Pont

Le littoral de l’Asie Mineure ainsi que le Pont (ou Mer noire), ont été les berceaux de l’Hellénisme depuis le 9e siècle av. J.-C et presque tout l’arrière pays était habité par les Grecs dès le 2e siècle av. J.-C. L’Empire romain d'Orient ou Empire byzantin, appellation instituée après le 19e siècle, a progressivement perdu sa domination sur la région élargie dans un laps de temps de 400 ans, commençant par le milieu du 11e siècle.Τoutes les communautés grecques de l’Asie mineure et du Pont sont passées sous la souveraineté de l’Empire ottoman au milieu du 15e siècle.

En dépit des conditions difficiles rencontrées par les Grecs tout au long de cette période, ils ont maintenu leur caractère religieux et communautaire jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. En 1914, il y avait 2.500 écoles grecques en Asie Mineure, dans le Pont, en Thrace orientale et à Constantinople, tandis que la population dans ces régions dépassait 2,5 millions de personnes. D’après les statistiques ottomanes, les communautés grecques ont contribué à l'économie du pays à un taux de 60% en capital et en main-d'œuvre.  Ce qui a suivi la montée en puissance du Comité de l'Union et du Progrès (İttihat ve Terakki Cemiyeti) en juillet 1908 dans l'Empire ottoman a démenti toutes les attentes, malgré les déclarations du Comité pour un régime constitutionnel qui serait en faveur de l'égalité pour toutes les nationalités de l’Empire ottoman.

LE GÉNOCIDE

Pendant la période qui a suivi les Guerres balkaniques (1912-1913), les gouvernements turcs successifs ont décidé de « résoudre de manière drastique le problème des ethnies de l’Empire ottoman », en éliminant de leurs territoires ancestraux les populations autochtones. Après la défaite de l’Empire ottoman lors des Guerres balkaniques (1912-1913), le Comité de l’Union et du Progrès  a pris le pouvoir suite à un coup d’Etat[1], sous la direction de Ismail Enver Bey, Mehmet Talaat Bey et Djemal Pacha[2]. Leur objectif était la turquisation de l’Empire ottoman en éliminant les minorités chrétiennes nationales comme les Arméniens, les Pontiques et d’autres populations purement grecques. Dès la fin de 1913, le Comité de l’Union et du Progrès à partir de la Thrace orientale, a mis en œuvre un plan de déportation forcée et d'extermination des populations grecques, qui a également été mis en œuvre au cours des premiers mois de 1914 sur le littoral ouest de l'Asie mineure [3].  En conséquence, près de 650.000 Grecs sont devenus des réfugiés. Avec l’entrée de l’Empire ottoman dans la Première Guerre mondiale, le 29 octobre 1914, les populations se sont déplacées vers l’arrière-pays, tandis que les Grecs en âge d’être enrôlés (18 à 45 ans), ont été soumis au travail forcé dans des bataillons de travail où les conditions étaient extrêmement dures.

Dès 1915, les déportations étaient menées avec une cruauté particulière dans le Pont occidental, tandis qu’en avril 1916, la campagne de nettoyage ethnique généralisé s’est poursuivi. Ά la fin de la Première Guerre mondiale, environ 40% de l’Hellénisme de l’Empire ottoman était déplacé et le nombre de victimes s’élevait à près d’un million.

Après l’armistice de Moudros (30 octobre 1918), le sentiment d'insécurité était encore présent parmi les populations grecques. C'est pour cette raison que l’Entente a autorisé le gouvernement grec à envoyer l’armée à Izmir en mai 1919, conformément aux dispositions du Traité de Sèvres. Au cours de la période 1919-1922, les populations grecques qui se trouvaient hors de la protection des forces grecques et alliées ont été confrontées à des persécutions violentes et punitives. Les persécutions ont été d’une cruauté extrême pendant la période 1921-1923, surtout au Pont. Jusqu’en 1923, environ 353.000 personnes ont été ainsi exterminées, autrement dit la moitié de la population pontique.

Après septembre 1922, tous les Grecs qui ont survécu au génocide, parmi lesquels ceux d’Istanbul, Gökçeada (Imvros), Bozcaada (Ténédos) et initialement de Cappadoce [4], ont été contraints de quitter leur foyer. Ά Izmir, après le retrait des forces militaires grecques, s’est produite une des plus grandes tragédies dans l’histoire de l’humanité : la mort d’environ 100.000 Grecs et Arméniens. Les populations grecques qui ont survécu à ce génocide, ont émigré en Grèce, en Australie, en Amérique, en Russie et au Canada.

Ces événements susmentionnés qui ont marqué la fin d’une des civilisations grecques anciennes d’Asie Mineure, relèvent de la définition du crime de génocide en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 [5] et cela est dû au fait qu’il y avait un plan précis visant à anéantir les Grecs du Pont. Il en était de même pour les autres populations grecques d’Asie Mineure.

Plus particulièrement, l’article 1 de la Convention précise que : « le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit international et doit être puni ». Le crime du génocide est défini à l’article 2 comme « l’un des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, tout en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux : a) meurtre de membres du groupe, b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ». En outre, selon l'Article III, non seulement l'acte de génocide est punissable, mais aussi l’entente en vue de commettre le génocide, l’incitation directe et publique à commettre le génocide, la tentative de génocide et la complicité dans le génocide.

Le génocide des Grecs du Pont et des Grecs de l’Asie Mineure a été reconnu par le Parlement grec par les lois nº 2193/94 (JO 78 A/1994) et loi nº 2645/98 (JO 234 A/1994). En outre, le Parlement hellénique, à travers ses résolutions qui reflètent la façon dont le peuple grec dresse le bilan des événements historiques et rend hommage à ses morts, institue le 19 mai [6] et le 14 septembre [7] comme journées de commémoration du génocide de l’Hellénisme du Pont et de l’Asie Mineure, respectivement.

Le génocide de l’Hellénisme du Pont et de l’Asie Mineure a également été reconnu par l’International Association of Genocide Scholars (IAGS) en décembre 2007.  Par ailleurs les Parlements de Suède (2010), d’Arménie ( 2015), des Pays-Bas (2018 et 2021), d’Autriche ( 2015), de Chypre (1994) et d’ Australie (2021) ont reconnu le génocide à travers des Déclarations et des Résolutions ainsi que le Sénat de Pennsylvanie (2003), le Sénat de New York (2005), la Chambre des représentants de Floride (2005), l’ État du Massachusetts (2006), le Sénat de Rhode Island (2014), la Chambre des représentants du Dakota du Sud (2015), l’ État de l'Iowa (2016) , l’ État de l'Indiana (2017), l’ État de l'Alabama (2019), l’ État du New Jersey (2019) et l’ Assemblée de l'État de Californie (2019).

Il faut noter que dans la Résolution de la Chambre des Représentants américaine (2019) et la Résolution du Sénat américain (2019) sur le génocide arménien il y a référence à la phrase « porter secours aux survivants de la campagne du génocide contre les Arméniens, les Grecs, les Assyriens, les Chaldéens, les Syriaques, les Araméens, les maronites et autres chrétiens».

[1] Le coup d’Etat a eu lieu le 23.1.1913 et est connu comme le Raid sur la Sublime Porte.
[2] Après l’armistice de Moudros, une cour martiale turque a reconnu les massacres condamnant à mort par contumace les auteurs des génocides, Enver Bey, Talaat Bey et Djemal Pacha.
[3] Ά titre indicatif, on mentionne, le massacre de Phocea, ville de huit mille Grecs et environ quatre cents Turcs, construit sur la mer près d'Izmir, en juin 1914. « Durant la nuit, les bandes organisées ont continué à piller la ville. Vers l’aube, les tirs continuaient d’être échangés devant les maisons.[…] De toutes les directions, les Chrétiens couraient vers la plage à la recherche de barques pour s’échapper, mais depuis la nuit déjà il n’en était resté une seule. On pouvait entendre des cris de terreur mêlés aux bruits des tirs » (George Horton, The Blight of Asia, Indianapolis, 1926).
[4] Les Grecs de Cappadoce  ont finalement été échangés après l'entrée en vigueur du Traité d’échange de populations entre la Grèce et la Turquie (30/1/1923).
[5] Convention pour la prévention et la répression du crime du Génocide, UN Treaty Series, Vol. 78, accessible sur le lien : : https://treaties.un.org/doc/publication/unts/volume%2078/volume-78-i-1021-english.pdf
[6] Journéedu débarquement de Mustafa Kemal à Samsum qui a marqué l’intensification des crimes contre les Grecs du Pont.
[7] Journée de la destruction totale de Smyrne.