Rencontre du ministre des Affaires étrangères, D. Avramopoulos avec le ministre des Affaires étrangères de la Suède, C. Bildt (27.03.2013)

Rencontre du ministre des Affaires étrangères, D. Avramopoulos avec le ministre des Affaires étrangères de la Suède, C. Bildt (27.03.2013)D. AVRAMOPOULOS : Bonjour. Je suis très heureux d’accueillir aujourd’hui au ministère des Affaires étrangères le bon ami de la Grèce avant tout et mon ami personnel, le ministre des Affaires étrangères de la Suède, M. Carl Bildt, dont l’expérience sur l’échiquier diplomatique est tout aussi grande que reconnue, tout comme ses connaissances sur l’état des choses et les évolutions diplomatiques dans la région des Balkans et de la Méditerranée du sud-est. Sa visite vient confirmer l’excellent climat de nos relations bilatérales et ouvrir de nouvelles voies pour le renforcement de notre coopération dans tous les domaines.

Nous avons discuté avec mon collègue suédois de la préparation de la Présidence grecque du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2014 et des priorités que nous nous sommes fixées. Nous avons également abordé la question de la crise économique dans la zone euro. J’ai passé en revue avec M. Bildt les résultats positifs enregistrés d’ores et déjà en Grèce, grâce à la mise en œuvre des réformes mais aussi aux énormes sacrifices et à la détermination du peuple grec.

Comme on a pu s’y attendre, les décisions récentes concernant Chypre ont été l’un des sujets sur lesquels nous nous sommes penchés. La solution qui a finalement prévalu est extrêmement douloureuse, mais elle a permis d’éviter le scénario catastrophique de la faillite qui aurait eu des conséquences imprévisibles. Comme je l’ai affirmé à M. Bildt, Chypre ne doit pas rester seule dans cette épreuve difficile. Elle a la Grèce à ses côtés et elle jouit de la solidarité de la famille européenne, dont elle est membre à part entière. Je ne me réfère pas seulement au prêt, je parle des investissements, du tourisme, de la coopération économique qui permettra de créer des emplois et de ramener le pays sur la voie de la croissance. L’économie chypriote est petite et flexible. Un petit effort de la part des partenaires européens peut avoir d’importantes conséquences positives pour Chypre.

Avec Carl, qui garde toujours en mémoire la crise économique qu’a traversé la Suède dans le passé, nous sommes convenus que l’Union européenne devait garantir sa cohésion et jeter les bases non seulement d’une meilleure gestion économique, mais aussi d’un approfondissement politique. Les pères fondateurs de l’Union européenne n’avaient pas imaginé une énorme comptabilité, mais une union politique qui garantirait à ses citoyens la paix et la prospérité. Cette vision est aujourd’hui plus que jamais d’actualité.

Nous avons échangé des vues sur la politique de l’élargissement et le parcours européen des Balkans occidentaux, notamment l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, sur la situation que nous avons examinée de manière approfondie. Nous avons constaté que le progrès de nos voisins, quant à leur conformité aux critères européens, constituera une étape décisive pour l’instauration de la sécurité dans la région de l’Europe du sud-est. Il servira de catalyseur pour lutter contre le nationalisme émergent qui constitue une réelle menace pour notre voisinage élargi.

Nous avons par ailleurs discuté de la Turquie et de sa perspective européenne. Les relations entre l’Union européenne et la Turquie ne peuvent se développer que dans le cadre d’un processus d’adhésion tout aussi actif que fiable et dès lors que la partie turque remplit les termes et modalités requis. J’aimerais sincèrement remercier Carl pour sa visite à Athènes et nos entretiens très utiles et lui souhaiter un bon séjour en Grèce.

C. BILDT : Merci beaucoup. Merci pour votre invitation. Je suis toujours très heureux de visiter Athènes et la Grèce. Je garde de très bons souvenirs de mes visites ici, qui remontent à l’été 1974. Des souvenirs de relations d’amitié et de luttes politiques ainsi que de difficultés politiques rencontrées au fil des ans mais qui toujours étaient caractérisées par les liens très étroits qui unissaient nos deux pays s’agissant de questions auxquelles nous avons fait face de concert et notamment lorsque je suis arrivé en Grèce, à Corfou, pendant la Présidence grecque en juin 1994 pour la signature du traité d’adhésion de la Suède à l’Union européenne. Depuis, nous sommes des partenaires proches à l’Union européenne. Et en dépit de la distance géographique qui nous sépare, nos vues convergent souvent sur un grand nombre de sujets et notamment en ce qui concerne le développement d’une politique commune ayant trait à la politique étrangère et à la politique de sécurité de l’Union européenne. Il y a des questions d’intérêt commun, comme les Balkans occidentaux, le partenariat avec la Turquie et de manière générale un grand nombre de questions sur lesquelles nous avons pu coopérer.

Les raisons de ma visite d’aujourd’hui sont nombreuses. L’une d’entre elles était de discuter sur les évolutions économiques et je dois admettre que je suis assez impressionné par le progrès accompli en ce qui concerne l’assainissement budgétaire. Je sais que je ne dois pas comparer la crise que la Suède a traversée au début des années 1990 avec la crise que traverse aujourd’hui votre pays, mais il existe tout de même des points communs. Par conséquent, je sais combien l’assainissement budgétaire est douloureux, mais oh combien nécessaire. Il est tout aussi douloureux que nécessaire. Je sais également, de par notre expérience, que vous tirerez des avantages futurs de ce processus douloureux des réformes structurelles. Et très honnêtement, nous avons profité dans une large mesure des réformes que nous avons appliquées – dont certaines étaient très douloureuses et controversées à l’époque – et je suis pratiquement pleinement convaincu qu’en raison de l’orientation des politiques que vous appliquez, il se passera la même chose ici. Cela n’arrivera pas la semaine prochaine, je suis navré de le dire, mais je pense que vous voyez déjà les premiers signes apparaître. Il faut du temps, mais le jeu en vaut la chandelle lorsque l’on voit les nouvelles possibilités poindre.

Nous faisons face à une situation difficile.

La prochaine étape de mon voyage est Chypre, où je rencontrerais le Président Anastassiadis. Je pense aussi, comme l’a dit monsieur le ministre, que Chypre a évité ce choix douloureux de la faillite qui aurait été catastrophique pour le peuple chypriote. Mais naturellement, nous devons apporter notre aide et notre soutien pour que son économie puisse de nouveau reprendre après cette période difficile et la Suède fera tout ce qui est en son pouvoir pour aider dans ce sens.
Les liens très étroits qui nous unissent sont les liens entre nos deux peuples dans le secteur du tourisme. Et je suis heureux d’apprendre que le flux de touristes suédois en Grèce – qui était toujours important – a augmenté. Par ailleurs, un flux touristique important vers Chypre a été enregistré, ce qui bien entendu est dans l’intérêt tant des visiteurs qui viennent ici profiter du soleil, que de l’économie de nos deux pays. Ainsi, je pense que nous avons eu d’excellents entretiens et bien entendu, comme il est de coutume de nos jours, nous aurons l’occasion de nous rencontrer souvent et de poursuivre notre dialogue sur toutes ces questions.

JOURNALISTE : Je voulais poser une question relative aux Balkans, est-ce que vous êtes préoccupés par la montée du nationalisme dans les pays des Balkans.

C. BILDT : La montée du nationalisme dans toute l’Europe me préoccupe. Nous devons tous être fiers de nos relations et de notre héritage, qu’il s’agisse de la Suède, ou de la Grèce, mais là c’est différent. Lorsque le nationalisme est au détriment des autres, alors nous avons toutes les raisons d’émettre des réserves. Et cela ne se passe pas seulement dans les Balkans occidentaux. Et dans ce contexte, nous avons également discuté de la prochaine présidence grecque de l’UE au début de l’année prochaine, qui je pense est très importante. La mission que nous accomplissons à l’UE vise à faire face aux fantômes du passé en Europe et qui souvent ont tendance à revenir sous la forme du nationalisme et bien entendu du nationalisme dangereux et nous observons des tendances de ce genre dans les Balkans aujourd’hui. Je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles nous souhaitons tous deux accélérer le processus d’adhésion des Balkans à l’UE. Le 1er juillet, nous accueillerons un nouveau membre, la Croatie et j’espère que nous pourrons faire les pas nécessaires pour engager les négociations d’adhésion avec la Serbie, nous avançons également avec le Monténégro, nous espérons que la question du Kosovo avancera – il y a la question du nom que tout le monde connaît – même en Bosnie les choses commencent à bouger. Mais sans l’Union européenne, je dirais, sans des pays comme la Grèce et la Suède au sein de l’UE qui assureront la promotion du processus, ce sera plus difficile.

D. AVRAMOPOULOS : Permettez-moi de dire deux mots sur cette question. Le populisme et le nationalisme sont la pire des associations aujourd’hui dans notre région et ils sapent tous les efforts visant à instaurer la stabilité dans cette région fragile de l’Europe. Et je partage totalement le point de vue de Carl. Mais il ne faut jamais oublier que la Grèce demeure un facteur de stabilité et de stabilisation dans notre région. Nous avons condamné le populisme et le nationalisme et nous avons épuisé tous les moyens afin de pouvoir envoyer un message positif à nos voisins, notamment à ceux avec qui nous avons quelques problèmes que nous devons résoudre. La Grèce est un pays européen qui respecte pleinement les principes et les valeurs de notre patrie commune qu’est l’Europe et nous continuerons d’œuvrer dans ce sens. Et tout à l’heure Carl a souligné une chose importante. Le nationalisme est l’expression de la haine envers les autres. Il y a une grande différence entre patriotisme et nationalisme. Le nationalisme est la haine pour le pays de l’autre, tandis que le patriotisme est l’amour pour la patrie.

JOURNALISME : Ma question s’adresse aux deux ministres. Avez-vous l’intention de prendre des initiatives communes en tant qu’Union européenne, comme signe de solidarité envers Nicosie ?

C. BILDT : La Suède n’est pas membre de la zone euro, mais quoi qu’il en soit, je pense que les 10 milliards d’euros qui seront envoyés sont un signe de solidarité des pays de la zone euro, pour éviter ce qui se serait passé à Chypre. Cela ne résout pas tous les problèmes, comme vous le savez, mais cela nous aide à éviter ces problèmes. Ainsi, les 10 milliards d’euros sont un signe clair de solidarité de l’Europe. En ce qui concerne la Suède, nous ne sommes pas membres de la zone euro, nous essayerons donc d’apporter notre soutien différemment. Ma visite de demain à Chypre doit être considérée comme un acte de solidarité et de soutien en ces moments difficiles. Bien entendu, et nous ne les oublions pas, ils ont des amis, nous serons là et nous leur expliquerons ce que cela peut bien signifier. Mais nous voulons certainement leur offrir notre soutien, leur exprimer notre amitié, notre compréhension et notre solidarité.

D. AVRAMOPOULOS : L’Union européenne constitue un cadre de sécurité pour Chypre en ces moments difficiles. Je l’ai dit tout à l’heure et le redis, que Chypre n’est pas seule. Elle a la Grèce à ses côtés, elle a l’Union européenne à ses côtés. C’est pourquoi il y a peu je me suis référé au cadre dans lequel évolueront les initiatives pour soutenir l’économie chypriote. Le message qui est transmis est toutefois clair. Chypre n’avance pas seule sur ce chemin difficile et semé d’embuches et cela est très important. Et je suis certain que le jour ne saurait tarder où Chypre retrouvera son rythme, son orientation, sa croissance économique et sa stabilité. Ce cadre de sécurité conféré par l’Union européenne, avec le principe de solidarité communautaire qui est prépondérant, est un élément tout à fait positif et porteur d’un message de confiance aux Chypriotes en ces heures difficiles.

JOURNALISTE : Monsieur le ministre, vous venez juste de dire que la Suède n’est pas membre de la zone euro. Malgré cela, votre collègue, le ministre des Finances avait prévu, en octobre dernier, que la Grèce sortirait de la zone euro. Est-ce que vous discuteriez dans le cadre de votre gouvernement d’un réexamen de cette prévision, car le semestre est passé et donc ne devriez-vous pas adopter une attitude, je dirais, plus amicale vis-à-vis de la Grèce ?

C. BILDT : Vous voyez, même le ministre suédois des Finances peut aussi se tromper parfois. Et d’ailleurs, je lui avais dit à l’époque qu’il se trompait. Et aujourd’hui je vais me faire un plaisir de lui offrir un euro grec comme cadeau.
Pour être juste, je dois tout de même dire qu’aussi bien lui que moi, soutenions pleinement l’adhésion de la Suède à la zone euro en 2003. Nous avons eu un référendum négatif, mais cela est une autre histoire. Nous ne sommes pas membres de la zone euro, comme je l’ai dit, mais je dois ajouter que l’euro a contribué à la stabilité de l’économie suédoise. J’ai exercé les fonctions de Premier ministre du pays pendant les années 1990, alors que la zone euro n’existait pas encore. A cette époque, les devises européennes enregistraient toutes les semaines des fluctuations, ce qui était un vrai cauchemar. L’euro, en ces moments difficiles pour l’économie, a également aidé les pays qui, pour des raisons différentes, ne sont pas membres de la zone euro. Je vous remercie beaucoup.

March 27, 2013