Réponse du ministre des Affaires étrangères N. Dendias à une question de l'ambassadeur de Turquie en Norvège lors du panel «Droit de la mer en Méditerranée orientale» suite à sa conférence à l'Institut norvégien des affaires internationales(Oslo,16.02.22)

AMBASSADEUR FAZLI ÇORMAN (Ambassadeur de Turquie en Norvège) : C'est toujours un plaisir de voir quelqu'un de l'autre côté de la mer Égée.

MINISTRE NIKOS DENDIAS : Merci de votre présence, Monsieur l'Ambassadeur.

AMBASSADEUR FAZLI ÇORMAN : C'est un plaisir. Bien sûr, ce que j'ai entendu n'est pas très agréable.

MINISTRE NIKOS DENDIAS : C'est ce que je pensais.

AMBASSADEUR FAZLI ÇORMAN : Mais, bien sûr, ce n'est pas à moi de contrer tous vos arguments. Vous avez un homologue à Ankara qui sera très heureux de discuter de toutes ces questions avec vous. Et ici en Norvège, à Oslo, nous ne sommes pas en mesure de résoudre les questions gréco-turques. Mais puisque vous êtes venu ici et que vous en avez parlé à l'audience, j'aimerais souligner quelques points pertinents dans ce que vous avez dit, Excellence, en tout respect.

Vous prétendez, ou vous dites en fait, que la Turquie fait ceci et cela, mais vous oubliez un point ; que toutes ces actions sont en réponse à quelque chose que vous avez fait. Il s'agit donc de conséquences. L'accord turco-libyen était également une conséquence de quelque chose que vous connaissez également très bien. Et la déclaration de casus belli par la Grande Assemblée nationale turque était aussi une conséquence du fait que la Grèce a dit qu'elle irait de l'avant en déclarant unilatéralement les eaux continentales à 12 miles. Et cela irait jusqu’à pratiquement « verrouiller » les eaux turques, la capacité de la Turquie à atteindre les eaux internationales, et la Turquie serait enfermée dans ses propres eaux territoriales. C'est ce que vous imposez, ou ce que vous essayez de dire à la Turquie.

Au cours des négociations de l'UNCLOS, la Turquie s'est opposée avec persistance à l'idée que les îles aient exactement le même effet sur la délimitation. Parce que dans le cas de la mer Égée, il nous est impossible d'accepter cela. La mer Égée est un cas très particulier, et comme vous le disiez, un côté de la mer doit pouvoir regarder l'autre côté. Et la délimitation ne peut être faite que par les deux.

Ainsi, en ce qui concerne les questions gréco-turques dans la mer Égée et toutes les autres questions, la Turquie souhaite établir un véritable dialogue et les résoudre par le dialogue. Et j'ai été très heureux de constater que la semaine prochaine, il y aura probablement un nouveau chapitre de discussions consultatives entre la Turquie et la Grèce, au niveau des ministres adjoints. Et nous sommes impatients de résoudre toutes ces questions par le dialogue. La mer Égée a deux côtés ; il y a une masse terrestre de l'autre côté que vous oubliez, qui s'appelle l'Asie mineure, vous vous en souvenez peut-être en histoire. Et c'est la masse terrestre du continent asiatique. Vous aimeriez totalement l'ignorer. « Mon île a le même effet sur la délimitation que la masse continentale de la Turquie ». Donc, c'est bien sûr impossible pour nous de l'accepter et c'est le point de départ.

Vous disiez que vous étiez prêt à discuter avec la Turquie sur la base de l'UNCLOS. Et la Turquie n'a pas rejoint l'UNCLOS parce que nous ne pouvons pas accepter la situation dans la mer Égée comme étant la solution. Donc, nous ne pouvons pas avoir ce dialogue sur la base de l'UNCLOS uniquement. Comme l'a dit le professeur, le droit international peut être l'une des bases des solutions, les autres étant l'équité, l'égalité et les droits mutuels. Si vous êtes prêts à accepter ou à prendre en compte les questions turques, les droits turcs et les besoins turcs dans ce domaine, nous pouvons tous nous asseoir, discuter et résoudre ces problèmes.

Et vous avez également omis de mentionner le statut démilitarisé de certaines des îles évoquées par Ulf. C'est également l'une des questions dont nous aimerions discuter lorsqu'il s'agit du droit international et de son application. Je pense que selon le droit international, les accords font partie du droit international. Les accords directs, le traité de Lausanne et le traité de Paris de 1947 vous ont demandé de ne pas militariser certaines de ces îles, ce qui n'est pas acceptable. Il y en a beaucoup d'autres, mais ce n'est qu'un début.   

DIRECTEUR DE NUPI ULF SVERDRUP (MODÉRATEUR) : Ok, merci Monsieur l'Ambassadeur. Monsieur le Ministre, voulez-vous répondre brièvement...

MINISTRE NIKOS DENDIAS : Je vais répondre.

DIRECTEUR DE NUPI ULF SVERDRUP (MODÉRATEUR) : Dans un certain sens, c'est une invitation à parler des conditions...

MINISTRE NIKOS DENDIAS : Tout d'abord, je tiens à remercier l'Ambassadeur - je l'ai déjà dit - d'être présent aujourd'hui. Bien sûr, il n'y a pas de question, donc, directement, c'était plutôt une déclaration.

Mais, d'une certaine manière, Monsieur l'Ambassadeur, je voudrais aussi vous remercier d'avoir vérifié exactement ce que j'ai dit. Parce qu'en substance, si vous me permettez de répéter, vous avez dit qu' « il est légitime pour la Turquie d'émettre un casus belli contre nous, une menace de guerre. Si... »

AMBASSADEUR FAZLI ÇORMAN : [Parlant loin du micro. Inaudible].

MINISTRE NIKOS DENDIAS : Eh bien, en tant que diplomate, je crois comprendre que l'interruption ne fait pas partie de vos règles de conduite. Je recommence : Vous dites ouvertement à un public et probablement aussi sur Internet, que : « menacer de guerre n'importe quel pays est légitime ».

Mais si je me souviens bien de ce qu'on m'a enseigné à l'université, mais aussi, si je me souviens bien, vous [la Turquie] avez souscrit à la Charte des Nations unies. Et si vous me permettez, la Charte interdit totalement l’usage de la force et la menace de l'usage de la force.

Donc, si vous me permettez de demander, non pas à vous, mais à la Turquie - parce que ce n'est pas une question personnelle - un casus belli n'est-il pas exactement ce qui est interdit par la Charte des Nations unies ? La Charte des Nations unies conditionne-t-elle cette interdiction à votre interprétation de ce que la Grèce a dit qu'elle pouvait faire en vertu d'une convention internationale, à laquelle 168 parties ont souscrit, à la seule exception de la Turquie ?

Même les États-Unis, qui n'ont pas ratifié l’UNCLOS, conseillent à tous les pays du monde d'y souscrire. Et voilà la Turquie qui dit « parce que je n'ai pas souscrit à l'UNCLOS, vous n'êtes pas autorisé à mettre en œuvre l'UNCLOS, et si vous mettez en œuvre l'UNCLOS, c'est une menace de guerre contre vous, et c'est tout, parce que c'est ce que je veux».

Est-ce là une façon raisonnable de faire les choses au XXIe siècle ? S'agit-il vraiment d'une invitation au dialogue ? Ou est-ce une pure menace - et je pourrais utiliser des mots bien plus durs que « pure menace » ?

Ainsi, la vérité est que les différences entre la Grèce et la Turquie sont solubles. À une condition préalable : que la Turquie entre dans le XXIe siècle. Si la Turquie reste au 19ème siècle, si la Turquie reste dans la manière dont Soliman le Magnifique menait ses affaires avec des armées autour de la Méditerranée, alors c'est un échec.

C'est un échec, mais, à mon humble avis, il est possible que la Turquie change ses habitudes et sa vision. Parce que je crois profondément que c'est dans l'intérêt de la société turque. Et si je peux me répéter, il y a une énorme dynamique qui existerait si cette question était résolue.

Et, à propos, dernière remarque, l'ambassadeur a dit que l’ « accord turco-libyen" était une réaction à quelque chose. Ce quelque chose ne nous a pas été révélé. Mais encore une fois, la question est de savoir comment une réaction illégitime peut-elle être acceptable ? Je veux dire, la vraie réponse à cela aurait été : « Non, vous avez tort, « l’accord turco-libyen » est un accord légal ». J'ai entendu dire que c'était une réaction à quelque chose mais, encore une fois, personne sur cette terre ne peut défendre cet « accord » sur des bases légales.

Le point de vue juridique est exactement le même que si la Turquie avait conclu un accord de délimitation avec Singapour, ou d'ailleurs avec le Brésil, ou avec la Patagonie ou autre. Comment cela peut-il tenir dans le monde d'aujourd'hui ? Merci.

February 16, 2022