Séance d'information devant le Comité permanent « Défense nationale et Affaires étrangères » du Parlement hellénique par le ministre des Affaires étrangères, N. Kotzias (Parlement hellénique, 18 mars 2015)

Je voudrais tout d'abord remercier le Président de cette invitation ainsi que vous tous venus ici en vue de tenir une première discussion sur des questions relevant de la politique étrangère. Force est de souligner que c'est la première fois que je me trouve au Parlement car, même lors de la présentation du programme gouvernemental j'étais en voyage à l'étranger et par conséquent je suis doublement reconnaissant car aujourd'hui c’est la première fois que je me trouve ici, dans ce haut-lieu de la Démocratie. Je voudrais partager avec vous certaines de mes réflexions sur la politique étrangère. La plupart des informations ont déjà été portées à la connaissance du public, mais certaines informations spécifiques ne peuvent pas être mises au grand jour.

La première bonne nouvelle de ces six dernières semaines pendant lesquelles j'ai eu l'honneur d'exercer les fonctions de ministre des Affaires étrangères sous ce gouvernement, est le renforcement de l'importance de la politique étrangère. La politique étrangère est un domaine d'action politique qui, ces cinq dernières années, a connu un recul au niveau de son importance, de sa promotion et de sa visibilité publique.

Le premier changement que j'ai essayé d'apporter en ma qualité de ministre des Affaires étrangères, pour des motifs liés à la négociation, a été la prise de mesures en vue de passer de la thématique portant exclusivement sur l'économie - qui plus est une économie régie par des perceptions néolibérales - à une perception politique des choses liée à la position géopolitique. En vue de souligner les conséquences de toutes ces politiques imposées au pays durant les cinq dernières années à l'égard de sa position géopolitique et de l'environnement dans lequel il se trouve, un environnement marqué par une très grande volatilité.

Cet environnement est marqué par une volatilité qui, d'une part, prend la forme d'une ligne verticale tout au long de laquelle se trouvent la Russie, l'Ukraine, les Balkans occidentaux, la Méditerranée orientale, le Moyen-Orient et l'Afrique du nord et d'autre part, la forme d'un « triangle » (Ukraine, Libye, Moyen-Orient) d'instabilité et de déstabilisation provoquée par une série de forces. Tout au centre de ce triangle se trouve la Grèce laquelle, dans la mesure où elle se stabilise et règle ses problèmes, envoie au moins de petites vagues de stabilisation à la région, tout en faisant éviter des situations qui provoqueraient sa déstabilisation sous les pressions exercées par la région.

Tous ces points de vue sont bien connus de tous. Toutefois, ils ont été présentés d'une manière étrange, ils ont été falsifiés par la presse internationale et certains ont fait des commentaires à cet égard sur la base des articles parus dans la presse internationale. Mais cela n'a aucune importance dans le cadre de cette enceinte.

Le deuxième changement  important - à savoir l'enrichissement de la politique économique - a été apporté par le biais d'une négociation économique et d'une analyse des évolutions géopolitiques survenues au cours de ces six dernières semaines et cela porte sur une orientation de l'UE exclusivement vers le Nord.

Lorsque j'ai assisté pour la première fois à la réunion des ministres des Affaires étrangères en ma qualité actuelle, - après de nombreuses années où j'y assistais en tant que fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères - sa structure et sa composition étaient toutes nouvelles pour moi car le débat engagé lors du premier Conseil était particulièrement axé sur les trois pays baltiques, les pays du Visegrad et les quatre pays scandinaves, surtout la Suède et le Royaume-Uni.

Lors de ce Conseil la situation dans la région de la Russie-Ukraine et l'instabilité provenant de cette région ainsi que la politique des sanctions ont monopolisé les débats.

Force est de signaler que lors de ces quinze derniers Conseils des ministres des Affaires étrangères le principal objet de discussion a été la crise en Ukraine. Aucune discussion n'a été tenue sur les questions relatives au Moyen-Orient et au Sud ainsi que sur l'impact des choix politiques faits par certains pays membres en Afrique du nord et au Moyen-Orient.

Notre propre point de vue en tant que gouvernement ainsi mon point de vue personnel a été que cette discussion continuelle sur la Russie-Ukraine portait sur une thématique de politique étrangère d'intérêt particulier. Toutefois, le Moyen-Orient et l'Afrique du nord sont également des questions d'intérêt particulier en matière de politique étrangère, notamment pour le Sud, des questions qui sont liées à certains phénomènes de politique étrangère, tels que les djihadistes et les attaques qui ont visé Copenhague, Bruxelles et Paris. 

Dans ces conditions, le ministère des Affaires étrangères a entrepris deux initiatives dans le cadre de nos possibilités limitées et des moyens financiers restreints dont nous disposons. La première initiative portait sur la prise des mesures spéciales relatives à la protection de la population à Marioupol. Des mesures de soutien spéciales.

Force est de signaler que Marioupol est quasiment isolée. Il existe 300 passeports grecs et 300 citoyens détenteurs de passeports grecs. Nous sommes le seul Etat à disposer d'un Consulat là-bas et par conséquent les autorités diplomatiques sont opérationnelles et elles ont un aperçu direct de la situation.

On ne peut pas avoir accès à Marioupol à travers le port puisque celui-ci a été détruit et il est peu profond ce qui rend impossible l’amarrage des navires. Son aéroport a été également détruit tout comme les liaisons ferroviaires, au  moins les 110 premiers kilomètres reliant Marioupol à l'intérieur de l'Ukraine. En dépit de cela, nous avons pu envoyer une aide financière ainsi que du matériel médical, notamment au centre médical de Marioupol qui avait besoin d'un appareil radiodiagnostic et ainsi que d'autres équipements médicaux.  Nous avons également envoyé une aide économique ainsi que des médicaments.

Il y a eu aussi six victimes parmi les membres de la communauté grecque. Le nombre de citoyens d'origine grecque habitant au centre de Marioupol s'élève à 120.000.  Selon les données du Consulat, le nombre de citoyens d'origine grecque au centre de Marioupol s'élevait à 37.000. Il y a maintenant 30.000 citoyens d’origine grecque puisque les 7.000 ont quitté la ville à destination de Rostov. Dix-sept des trente cinq villages se trouvent sous l'occupation des "fédéralistes" ou des "séparatistes" lesquels ont une orientation russophone. Les autres villages sont situées à 10 km du théâtre des combats près de Marioupol, sur la base des informations qui nous sont parvenues par les autorités et non pas par des acteurs internationaux. Notre première initiative a donc porté sur la situation à Marioupol. Il existe des plans d'urgence, militaires et de l'ordre public dont l’efficacité sera prouvée dans la pratique. Pour le moment, cette aide est fournie en dépit des circonstances spéciales que je viens de citer.

La deuxième initiative porte sur les populations chrétiennes au Moyen-Orient dans le cadre des principes et des valeurs que nous partageons en tant que pays européen pour ce qui est du caractère multiculturel, multi-religieux et multinational de la région. Il s'agit des communautés qui existent depuis 2015 ans lesquelles sont visées par les attaques et les destructions perpétrées par des forces qui agissent dans la région, des forces impitoyables, brutales, tout comme les deux forces qui sont actives autour de Marioupol. Notre initiative est devenue une initiative de coordination avec Chypre, l'Italie, la France et les Pays-Bas.

Nous avons passé des ententes avec des pays islamiques, à savoir des pays musulmans qui ont une population musulmane et non pas un régime islamique, pour éviter les malentendus. Nous avons passé des ententes avec toutes les églises, les patriarcats orthodoxes, l'église catholique, l'église protestante, des rabbins et des dirigeants musulmans de l'Egypte jusqu'à l'Europe.

Nous avons également élaboré un texte qui a été convenu avec nos partenaires participant à cette initiative et notre objectif est d'organiser au mois de mai une Conférence internationale qui se penchera exclusivement sur ces populations ainsi que sur le caractère multinational, multi-religieux et multiculturel de ces régions.

Par ailleurs, nous préparons – pour votre information, pour le Comité – des changements au ministère des Affaires étrangères. Des changements mineurs dans un premier temps que nous espérons présenter la semaine prochaine. Ces changements sont prêts et le Conseil juridique de l’Etat doit les voir. Ces changements incluent le ré-établissement du Conseil scientifique du ministère des Affaires étrangères, la nécessité d’avoir une entité spéciale chargée de recueillir et d’examiner dans le long terme des questions juridiques spécifiques. Il y a la réorganisation de l’ancien Centre d’Analyse et de Planification du ministère qui, en fait, ne fonctionne pas. Comme vous le savez, le Centre d’Analyse et de Planification commande des études et publie un bulletin. Il ne produit pas un travail de support suffisant et on doit voir maintenant si nous pouvons garantir cela. Par ailleurs, il y a également un petit amendement des statuts du ministère des Affaires étrangères concernant les fonds secrets, avec la proposition de créer un comité parlementaire composé de trois membres qui sera chargé de contrôler les fonds secrets du ministère des Affaires étrangères, afin que le ministre puisse les utiliser avec le contrôle d’un autre organisme, parce que le contrôle du ministère seulement est relatif.

En ce qui concerne le pays, nous pensons en tant que gouvernement que le pays a de grandes capacités. C’est un pays européen, qui entretient des liens culturels, religieux et historiques ainsi que des traditions avec les pays émergents, comme le Brésil, la Russie, la Chine et l’Inde et ces pays ont une présence marquée sur la scène internationale politique et économique. Notre pays n’a jamais été un pays colonisateur, pour que ces pays soient réservés à notre égard.

Nous ne voulons pas dire par là que nous déplaçons l’espace géographique et politique de notre pays, mais nous pensons que nous pouvons suivre et contribuer à une politique nationale vis-à-vis de ces Etats et à une politique européenne. Comme vous le savez, personnellement, je suis opposé à la théorie selon laquelle la Grèce doit s’européaniser, ce qui sous-entend que l’Europe existe quelque part et que la Grèce suit, tout simplement. Je suis un fervent partisan de la politique étrangère active, qui signifie que la Grèce contribue, influence et lutte pour faire valoir ses points de vue au sein des organisations internationales. 

Pour ce qui est des problèmes plus spécifiques auxquels notre pays est confronté, tout le monde sait que, s’agissant de la question chypriote, la situation actuelle est particulière, avec une interruption des pourparlers à l’initiative – juste à notre sens – du gouvernement chypriote en raison des provocations de la Turquie dans la ZEE chypriote. Nous pensons que l’ONU doit contribuer avec respect au droit international et imposer à la Turquie également de respecter le droit international, à la promotion d’un dialogue visant à la résolution de la question chypriote. Le règlement de la question chypriote ne peut être qu’équitable et se doit de tenir en premier lieu compte des intérêts de la population chypriote, des deux communautés et des trois petites minorités, qui existent à Chypre ; le dialogue entre les communautés et non les droits invoqués par des puissances qui veulent demeurer des puissances garantes, en dépit du fait que Chypre est un pays souverain et indépendant.

En ce qui concerne l’ARYM, nous soutenons toujours que la question du nom est une question internationale, que le nom convenu devra être erga omnes,  pour tous les usages, qu’il ne devra pas y avoir de manifestations d’ultranationalismes, d’usurpation de l’Histoire et d’irrédentisme et que nous avons fait une proposition dans ce sens, proposition dont nous discuterons en avril et qui concerne des mesures de confiance. Les mesures de confiance servent dans un premier temps à résoudre certaines questions pratiques, deuxièmement à créer un meilleur climat de confiance et troisièmement, à faciliter les discussions engagées au sein de l’ONU, dans la mesure du possible.

Les propositions concernant les mesures de confiance ont été formulées dans le passé, de manière directe ou indirecte, par les deux parties. Nous avons établi une première liste, que nous leur donnerons dans un premier temps, et ce que nous voulons surtout montrer c’est que les problèmes que rencontre l’ARYM en cette période ne concernent pas la question du nom, comme on l’entend fréquemment à l’étranger, mais concernent le fonctionnement ou non de la démocratie et de l’Etat de droit sur le plan intérieur de l’ARYM, de l’Ancienne République yougoslave de Macédoine. Notre ministère estime que les dirigeants politiques de l’ARYM, devront faire preuve de plus de confiance à l’égard de l’Etat de droit et des institutions démocratiques et des procédures et ces problèmes ne peuvent être résolus de la façon dont certains essayent de les résoudre.

En ce qui concerne les relations gréco-turques, comme l’attestent tous les documents du ministère, en fait elles sont caractérisées par l’inertie. Les mesures de confiance ont été abordées pour la dernière fois en 2013. Nous sommes en faveur d’une discussion sur les mesures de confiance, mais non sous la menace. Nous avons enregistré une augmentation de la violation de l’espace aérien. En 2012, nous en comptions deux et en 2014, quatre. La hausse de ces violations concerne les eaux territoriales grecques et l’abus de celles-ci, tel que défini par la loi internationale, des passages inoffensifs et nous soutenons que toutes les discussions et négociations entre la Grèce et la Turquie doivent être basées sur le droit international, sur les mesures de confiance qui ont été promues depuis 1996 et sur la levée du casus belli, que la Turquie a formulé depuis de nombreuses années.

Notre position à l’égard de la Turquie est qu’il ne devra pas y avoir de provocations, que nous sommes disposés à discuter des mesures de confiance, qui n’entravent pas la communication dans l’espace grec et entre le territoire grec et les îles grecques, qui n’entravent pas le transport international.

De manière générale, ce que je peux dire après ces six semaines au ministère des Affaires étrangères, c’est que nous avons bien fait de soulever les questions relevant de la politique étrangère. Nous faisons bien de soulever des questions qui, depuis de nombreuses années, sont tombées aux oubliettes. Nous avons un problème économique car nous payons encore de l’argent provenant du passé.

En ce qui concerne la présidence hellénique, j’ai encore aujourd’hui des papiers à signer, bien que la présidence soit finie depuis l’été 2014.

Il va sans dire que, pendant la période de la crise, le moral des gens au ministère a été influencé. Le personnel du ministère est, je dirais, le meilleur personnel dont dispose le secteur public grec ; nombreux sont ceux qui pensent qu’il est le meilleur ministère du pays, comparé aux autres ministères. Malgré cela, les problèmes économiques et la gestion de nombreux problèmes ont montré que bien des choses au ministère auraient pu fonctionner différemment et, à mon sens, l’inertie et l’absence d’initiatives concernant nos grands problèmes n’aident pas, car il n’y a pas de statu quo en politique internationale et étrangère. Il y a des retours en arrière, des réconciliations ou des actions positives qui, à travers des initiatives, présentent de nouvelles possibilités de solutions et d’ententes.

Voilà ce que j’avais à dire, Monsieur le Président, je vous remercie de votre attention. Je vous prierais de m’excuser si je parle bas, mais je suis malade, comme le sait le Président, depuis des semaines maintenant et je voyage tout en étant malade ».


March 19, 2015