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«La leçon de la Grèce, c'est que plus on tarde à réformer, plus le traitement est sévère»

Saturday, 26 April 2014

«La leçon de la Grèce, c'est que plus on tarde à réformer, plus le traitement est sévère»

Pour Dimitris Kourkoulas, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, le sentiment anti-européen des Grecs s'estompe avec l'amélioration de la situation économique du pays

Les faits - Quatre ans, jour pour jour, après l'appel à l'aide de la Grèce auprès de l'Union européenne (UE) et du Fonds monétaire international (FMI) et deux semaines après son retour réussi sur le marché international de la dette avec une émission d'obligations à cinq ans, Bruxelles a confirmé mercredi qu'Athènes avait dégagé un excédent budgétaire primaire en 2013 et dépassé ses objectifs en matière de gestion des finances publiques. Ce qui pourrait entraîner un nouvel allègement du fardeau de sa dette avant la fin de l'année.

Fort d'une expérience de plus de trente ans comme haut fonctionnaire européen, Dimitris Kourkoulas, 60 ans, a été nommé secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, en charge de l'Europe. De passage à Paris, ill fait pour l'Opinion le point sur le dossier grec.

Quelle est la situation économique de la Grèce aujourd’hui ?

Alors que l’objectif fixé par nos partenaires était d’être à l’équilibre en 2013, nous avons dégagé un excédent budgétaire primaire (hors service de la dette) de 3,47 milliards d’euros (Ndlr : 1,5 milliard d’euros selon la méthodologie d’Eusrostat). C’est la première bonne nouvelle qui montre que la Grèce sort du tunnel. Pour la première fois depuis 1949, nous affichons aussi un excédent de la balance des paiements qui est un indicateur de compétitivité. Après six années consécutives de récession, notre pays devrait renouer cette année avec une croissance de 0,8% et de 3% l’an prochain. Mais on ne peut pas pour autant crier victoire. Les dégâts en terme de chômage et de perte de richesses (25% du PIB) ont été énormes.

Allez-vous demander de négocier un allègement de la dette ?

Il y a deux ans, il avait été dit qu’une fois l’excédent primaire confirmé par Eurostat, nos partenaires discuteraient des moyens de rendre la dette plus viable. Nous y sommes.

Ne craignez-vous pas une sanction politique lors des élections européennes et régionales du mois de mai ?

Cela va être difficile pour tout le monde. Y compris pour l’opposition. Les espoirs de victoire de Syriza, le Front de gauche, pourraient bien être déçus comme lors des élections de 2012, quand ils avaient misé sur la peur et l’austérité pour l’emporter. Il y a encore beaucoup d’indécis. Malgré les grands sacrifices qui leur ont été imposés, les gens commencent à voir et à comprendre que l’alternative d’une sortie de la zone euro n’est pas la bonne.

Le mouvement de grande colère est passé. Tout a été si brusque et inattendu ! La vie de millions de Grecs a été bouleversée. Aujourd’hui, beaucoup se rendent compte que l’on est en train de sortir de la crise. Plus la situation va se normaliser, plus la Grèce regagnera sa souveraineté et plus le sentiment anti-européen s’estompera. Les élections régionales et municipales s'annoncent moins serrées. Selon les sondages, les partis au gouvernement devraient faire beaucoup mieux qu’aux européennes du fait d’implantations locales bien ancrées. Je ne vois pas de grands risques d’instabilité politique.

Où en est le parti d’extrême droite Aube dorée, dont certains dirigeants sont impliqués dans l’assassinat d’un militant antifasciste ?

Ces affaires sont dans les mains de la justice. Ces événements ont montré l’aspect criminel de cette organisation qui, malheureusement, ne va pas disparaître pour autant de la scène politique grecque. Je trouve scandaleux qu’un parti nazi et fasciste comme Aube Dorée puisse faire son entrée au Parlement européen alors que notre pays a tellement souffert du totalitarisme par le passé. Ce n’est pas un parti de gouvernement. Il tient un discours anti-européen, anti-troïka et anti-Merkel qui ressemble beaucoup à celui de Syriza. Je ne veux pas mettre les deux au même niveau idéologique et politique mais leur langage est tout aussi populiste. Une fois la troïka partie, leur base politique va disparaître. Car en dehors de leur opposition à la politique d’ajustement, ils ne proposent rien.

On a parlé de liens entre son porte-parole et le bras droit du Premier ministre Antonis Samaras…

Il n’y a pas de collusion. Le collaborateur du Premier ministre qui avait engagé des discussions avec Aube dorée de son propre chef a été remercié sur le champ.
Le fait que la Grèce, enfant malade de l’Europe, assume la présidence tournante de l’UE depuis le début de l’année a fait couler beaucoup d’encre. Quel premier bilan en tirez-vous ?

Personne ne peut dire que nous n’avons pas été efficaces. Des sujets importants comme le mécanisme de résolution unique dans le cadre de l’union bancaire et le financement des partis politiques ont été finalisés. Nous avons réussi à boucler près d’une soixantaine de dossiers législatifs, en seulement trois mois du fait de la session écourtée du Parlement européen. Nous n’avons pas seulement été des gestionnaires. Nous avons aussi lancé deux initiatives importantes autour de la sécurité maritime et surtout de l’immigration. L’Europe est la seule région du monde à ne pas avoir de politique intégrée en la matière. C’est une vraie lacune ! Proportionnellement, nous sommes le pays le plus touché par l’immigration du fait de notre position géographique. Il faut aider les pays à combattre les réseaux mafieux qui exploitent ce phénomène.

Notre tâche n’est pas terminée. Mais on peut déjà dire que notre présidence aura été la plus économique jamais vue jusque là, avec un budget de seulement 50 millions d’euros. Et j’aurais le plaisir de rembourser de 20 à 30% de cette somme au ministre des Finances à la fin du semestre. C’était ridicule de mettre en question la capacité de la Grèce à assurer la présidence tournante de l’Europe, ce qu’elle avait déjà fait quatre fois par le passé. C’est notre revanche !

Verriez-vous d’un œil favorable Bruxelles accorder un nouveau délai à la France pour ramener ses déficits publics sous la barre des 3% ?

Loin de moi l’idée de donner des conseils à la France. Chaque pays a ses particularités. Il n’y a rien de comparable entre la crise que nous avons connue et celle de l’Irlande ou du Portugal. Les traitements sont différents. La plupart des mesures d’assainissement de notre économie que nous avons été amené à prendre pour satisfaire nos partenaires étaient nécessaires. Mais la leçon que j’ai retiré du drame grec est que s’il faut prendre une mesure difficile, il vaut mieux la prendre plus tôt que plus tard. C’est une leçon générale : plus on tarde à réformer, plus le traitement est sévère.

Gilles Sengès