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Tribune du Premier ministre Alexis Tsipras publiée dans le journal Tagesspiegel le 17 juin 2015

Thursday, 18 June 2015

« Alexis Tsipras : les Allemands ne paient pas les Grecs »

Article paru dans le Tagesspiegel, le 17 juin 2015

Dans le cadre d’une négociation, l’échange constant d’arguments est légitime, tant qu’il y a de la sincérité et de la bonne foi entre les parties. Sinon, lorsque le dialogue ne vise pas la vérité, vous devez recourir aux méthodes décrites par le grand philosophe allemand Schopenhauer dans « L’Art d’avoir toujours raison » !

Parce qu’il est illégitime d’utiliser des indicateurs statistiques sélectifs, enveloppés avec le prestige d’économistes renommés comme Olivier Blanchard, pour produire des généralisations sans fondement qui obscurcissent la réalité.

En quelques mots, mes remarques, aujourd’hui, dans votre journal amical visent à changer un mythe populaire de la mémoire du citoyen moyen Allemand. Ceux qui lui disent qu’il paie pour les salaires et retraites des Grecs ne lui disent pas la vérité.

Je n’interviens pas pour nier que notre système d’assurance rencontre un problème. Mais pour pointer où exactement le problème se situe et comment le résoudre. Parce qu’au cours de ces dernières années il y a eu plusieurs vagues de coupes, sans avoir de résultat, seulement l’accroissement de la récession qui a encore plus accru le problème.

Plus précisément, peut-être que le chiffre de 75% des dépenses primaires pour le paiement des salaires et pensions peut sembler impressionnant. En réalité, cependant, seulement 30% concerne les pensions et en tout cas les salaires sont tout autre chose que les pensions et leur totalisation est une grave erreur méthodologique.

En particulier, la comparaison avec l’Allemagne est assez trompeuse puisque, selon les données pérennes de Ageing Reports (2009, 2015) les dépenses pour les retraites en Grèce de 11,7% en 2007 (légèrement plus élevée que celle de l’Allemagne à 10,4%) sont passées à 16,2% en 2013 (tandis qu’en Allemagne elles sont restées à peu près stables). D’où vient cette augmentation ? Peut-être de l’augmentation du nombre de retraités ou de l’augmentation des pensions ? Aucun des deux, puisque le nombre de retraités n’a guère bougé tandis que le montant des pensions a dramatiquement baissé depuis l’instauration des politiques mises en œuvre.

Une simple opération arithmétique suffit à conclure que l’augmentation des dépenses pour les retraites en pourcentage du PIB est due uniquement à la baisse du PIB (dénominateur) et non à l’augmentation des dépenses (numérateur). En d’autres termes, le PIB a diminué plus rapidement que les pensions.

En ce qui concerne l’âge de la retraite, peut-être qu’en Grèce les salariés partent plus tôt à la retraite ? La vérité est que l’âge de la retraite en Grèce est de 67 ans pour les hommes et les femmes, soit deux ans de plus qu’en Allemagne.

L’âge moyen de départ à la retraite des hommes en Grèce est de 64,4 ans, soit 8 mois plus tôt qu’en Allemagne où il est de 65,1 ans tandis que les femmes grecques partent à la retraite à 64,5 ans, 3 mois et demi plus tard que les allemandes qui partent à 64,2 ans.

Ces données, je ne m’y réfère pas pour éviter le problème ni nier les distorsions et les maux de notre système d’assurance mais pour montrer que le problème ne vient pas de sa supposée générosité.

La perturbation la plus importante dans le système est due à la diminution des recettes enregistrée ces dernières années. C’est le résultat tant de la perte de biens causée par le PSI (décote des obligations grecques détenues par des Caisses d’Assurances d’un coût total d’environ 25 milliards) que par une forte baisse des cotisations provoquée par l’explosion du chômage et la réduction des salaires.

En particulier, au cours de la période 2010-2014 avec une série de mesures 13 milliards d’euros ont été soustraits de notre système d’assurances, avec une baisse respective des retraites et allocations d’environ 50%, un fait qui ne laisse aucune marge pour d’éventuelles réductions supplémentaires sans porter atteinte à la fonction essentielle du système. De plus, nous devons comprendre que le système est affaibli par les recettes en baisse et non par les dépenses comme cela est souvent sous-entendu.

A ce stade, je tiens à souligner un élément supplémentaire, partie intégrante particulièrement de la crise de la Grèce. Le système d’assurances est le mécanisme institutionnalisé de la solidarité intergénérationnelle et sa viabilité est une préoccupation principale pour toute la société. Traditionnellement, cette solidarité signifie que les jeunes financent avec leurs cotisations les retraites de leurs parents. Cependant, dans la Grèce en crise, nous constatons souvent que cette solidarité est inversée puisque la survie des enfants est financée par les retraites des parents. Les retraites des personnes âgées sont le dernier viatique pour des familles entières où un membre travaille, voire même aucun, dans un pays où le chômage touche 25% de la population totale et 50% des jeunes.

Face à une telle situation, nous ne pouvons adopter une logique de coupes aveugles et horizontales, comme le réclament certains, qui auront des conséquences sociales dramatiques. D’un autre côté, nous ne restons pas indifférents devant les faibles perspectives de notre système d’assurances et nous sommes déterminés à assurer sa viabilité.

Le gouvernement grec a présenté des propositions précises pour la rationalisation du système. Nous avons convenu de la suppression immédiate du système de retraite anticipée qui baisse l’âge moyen de départ à la retraite et nous nous sommes engagés à procéder immédiatement à l’unification des Caisses, et en limitant les régimes spéciaux.

Comme nous avons analysé en détail au cours de nos discussions avec les institutions, ces réformes fonctionnent de façon décisive en faveur de la viabilité du système. Et comme toutes les réformes, on ne voit pas les résultats d’un jour à l’autre. Cependant, la viabilité exige une vision à long terme et ne peut être traitée avec des critères financiers stricts à court terme (par exemple une baisse des dépenses de 1% du PIB en 2016). Disraeli a dit qu’il y a trois sortes de mensonges : les habituels, les destructeurs et les statistiques. Ne laissons pas une utilisation obsessionnelle des indicateurs détruire un accord mature que nous avons préparé ensemble tout au long de consultations intensives. C’est notre devoir à tous.