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Introduction de Son Em. Mgr Emmanuel Métropolite de France sur la parution du livre «L’Archipel des Saints» de Alain Durel

Wednesday, 01 October 2014

Introduction de Son Em. Mgr Emmanuel Métropolite de France sur la parution du livre «L’Archipel des Saints» de Alain DurelIntroduction de Son Em. Mgr Emmanuel Métropolite de France sur la parution du livre «L’Archipel des Saints» de Alain Durel

Pour aimer, encore faut-il connaître. De nombreux intellectuels, universitaires, hommes et femmes de lettres, je ne mentionnerai ici que feu Jacqueline de Romilly, artistes et tant d’autres ont servi de passeur entre nos deux cultures. Aussi, suis-je convaincu qu’Alain Durel fait partie de ces personnes qui, avec talent, courage et engagement, participent du rayonnement de l’hellénisme au travers d’une expression particulière, celle de l’Eglise orthodoxe. Vous me connaissez tous suffisamment bien pour savoir que lorsque je parle d’hellénisme je ne dis pas uniquement une identité nationale, mais j’envisage cette grande civilisation qui a façonné le monde de la pensée, avant de se voir elle-même métamorphosée par la puissance de la révélation chrétienne.

Oui, Alain Durel est un passeur. J’oserais parler dans son cas de vocation. Une telle vocation, donc, n’est rendue possible que par l’inextricable besoin de voyager. Car pour devenir un passeur, il faut avoir été et être encore aujourd’hui un pèlerin. Ces pérégrinations vous ont mené à la rencontre de lieux extraordinaires et de personnes non moins hors du commun. Votre œuvre, s’il me revenait de la définir, certainement avec maladresse, est un chemin sur lequel vous nous conduisez de la presqu’île du mont Athos aux archipels grecs. Le chapelet de territoires, devient un chapelet d’histoires saintes que vous reprenez de la grande tradition spirituelle orientale, d’une Histoire Lausiaque ou d’un récit d’un Pèlerin russe. Ce qui compte dans ce chemin, ce n’est pas le but, mais les jalons, qui viennent comme autant d’apophtegmes, forger des rencontres dans lesquelles le divin et l’humain se révèlent, la création se découvre et la lumière fuse.

On voyage sur terre comme on voyage dans notre vie. C’est d’ailleurs là que se trouve tout le sens spirituel de la démarche de partir que rend si bien Alain Durel dans son nouveau livre. Le passage d’une île à l’autre rythme le parcours. Je l’ai déjà dit et le répète car cela me semble important, la rencontre de ces figures de sainteté qui marquent notre période contemporaine s’accompagnent d’une vivante perception des lieux, des paysages, des histoires si caractéristiques de la Grèce. Vous nous faites pénétrer dans un univers qui nous est à la fois commun et lointain. Commun, parce qu’il s’agit d’une réalité que d’aucuns peuvent apprécier dès qu’ils se trouvent en Grèce. Lointain, cependant, parce que pour en comprendre la profondeur encore faut-il savoir se mettre à l’écoute de cette psalmodie mystérieuse que rythment offices liturgiques et ces grains de chapelet porteurs de l’invocation miséricordieuse du Christ sauveur.

Pérégrination et sainteté trouvent alors un sens supérieur dans l’attitude jusqu’au-boutiste de la folie en Christ. Souvent décriée, difficile à interpréter, aussi rare que particulière dans une société où la rationalité a relégué le cœur à l’emprise de quelques affectes. Mais cet état de sainteté, si compliquée à appréhender, en particulier de nos jours, renvoie à la passion essentielle de notre époque l’égoïsme. Je crois, sans me tromper, que vous mettez, avec beaucoup de justesse, le doigt sur ce que nous devons interpréter comme un signe des temps. L’égoïsme doit être combattu par le renversement, quelques fois absurde, de nos catégories cognitives pour laisser l’espace à l’Esprit de Dieu d’agir. Il me semble que c’est ici le sens de la folie en Christ et le sens de la vie du père Hilarion que vous décrivez. Vous écrivez, en effet : « Mais le fol-en-Christ ne se content pas de résoudre le dilemme de la vertu et de l’orgueil, il remet également en question la raison raisonnante de ce monde, et jusqu’aux prétentions idolâtriques de la théologie dogmatique à connaître Dieu par des concepts. » (p.122) Cette citation rejoint ce que je disais précédemment. En dépassant l’intelligence de ce monde, nous pouvons atteindre l’intelligence du cœur qui possède ses propres règles, sa propre logique.

La pérégrination est aussi dans notre spiritualité une métaphore pour la théosis, pour la déification. J’en appelle alors à un théologien, saint Grégoire de Nysse. En effet, à la fin de sa Vie de Moïse, le prophète grimpe en haut de la montagne. Mais cette ascension de gloire en gloire dit l’infini de notre proximité avec Dieu et l’infini de la voie qui nous y conduit. Car le chemin auquel l’auteur nous invite dans son livre est une rencontre avec le Christ, parce que le Christ est ce chemin.

Je citerai pour finir, les derniers mots de l’ouvrage qui font échos à ce que je viens de dire : « Dieu vivant, il s’est révélé pleinement à l’homme dans son Fils et lui a accordé sa propre existence incréée. Don suprême qui constitue la clef de voûte de la spiritualité orthodoxe : la déification. »