Article du ministre des Affaires étrangères, N. Dendias, publié dans le journal "Financial Times” sous le titre “La diplomatie du chantage de la Turquie dans le dossier migratoire doit cesser” (30.03.
La diplomatie du chantage de la Turquie dans le dossier migratoire doit cesser
Ankara utilise les migrants comme des pions dans le but d’exercer un chantage sur l’UE
Depuis l’été 2015 jusqu’au début de l’année 2016, l’UE a fait face à un flux massif de demandeurs d’asile, dont la plupart avaient fui le conflit en Syrie. Près d’un million de personnes sont entrées en Europe, la plupart d’entre elles par la Turquie, arrivant sur les îles grecques en Egée. Afin de faire face à ce flux et d’alléger la situation, l’UE et la Turquie ont signé un accord politique en mars 2016. Cela a conduit à une réduction massive des arrivées dans l’Union européenne depuis la Turquie. Par ailleurs, cela a prouvé que la Turquie était capable de maîtriser les flux de migrants et de réfugiés.
La déclaration conjointe contenait toute une série d’engagements. L’UE a respecté ces engagements. Toutefois, la Turquie a essayé de lier l’accord au soutien de la part de l’UE de ses projets néo-ottomans en Syrie du nord et au-delà et de débloquer davantage de fonds.
Dans un premier temps, elle a menacé d’ouvrir ses frontières et de permettre l’entrée massive en Europe d’un grand nombre de migrants et de réfugiés.
Puis, le mois dernier, après les pertes de la Turquie à Idlib, son président Recep Tayyip Erdogan, a mis ses menaces à exécution et a « ouvert les portes » à tous ceux qui recherchaient un avenir meilleur en Europe. La Turquie a unilatéralement renoncé à ses responsabilités qui découlent de la déclaration UE – Turquie de 2016.
Elle a par ailleurs tenté d’utiliser des personnes comme des pions afin de faire du chantage sur l’UE. C’est cette même union à laquelle la Turquie aspire adhérer, tout du moins c’est ce qu’elle prétend.
La Grèce a subi des pressions soudaines, massives et organisées suite aux vastes mouvements de populations à ses frontières à l’est.
Des centaines de personnes ont été encouragées à prendre le bus depuis Istanbul et d’autres régions à destination de la frontière grecque.
Elles sont arrivées après que les hauts responsables turcs ont annoncé que les frontières étaient ouvertes. Des familles avec de jeunes enfants ont été conduites dans la partie turque de la frontière dans le but de nourrir la machine de propagande d’Ankara.
Il y a toutefois eu des groupes nombreux et organisés de jeunes qui ont tenté de franchir la frontière pour pénétrer en Grèce.
Nous pensons que ces personnes ont agi avec le soutien, sur l’incitation et les conseils des autorités turques et ce, en dépit du fait que les autorités grecques ont fait clairement savoir – par tous les moyens, y compris des communiqués officiels, des sms et des messages sur les réseaux sociaux – que la Grèce ne tolèrera aucun passage illégal par ses frontières.
En essayant d’entrer en Grèce, ces groupes de jeunes ont recouru à la violence, en jetant des pierres et en utilisant des gaz lacrymogènes fabriqués en Turquie, contre les gardes-côtes grecs. Les forces de sécurité turques les ont encouragés à le faire ou, dans le meilleur des cas, ont fermé les yeux.
La Turquie a lié sa décision d’ouvrir ses frontières à la crise dans la province syrienne d’Idlib.
Toutefois, plus de 60% de ceux qui ont été arrêtés pour avoir franchi illégalement les frontières grecques étaient des Afghans. Moins de 10% était des Syriens, voire vivaient en Turquie depuis des années.
Cela n’était pas un acte spontané, mais une attaque planifiée contre la Grèce et l’Europe.
Afin de renforcer l’impact de leurs méthodes, les ministres turcs ont parlé des forces de sécurité grecque ayant tiré des balles réelles sur les migrants et du fait que certains d’entre eux avaient même été abattus.
Nous considérons ces déclarations comme des fausses nouvelles scandaleuses, déclarations que le gouvernement grec a catégoriquement rejetées.
Les responsables turcs ont même été jusqu’à relier la situation aux frontières à la souffrance des Juifs pendant l’Holocauste.
Cela est irrespectueux de la mémoire des millions de personnes qui ont été sauvagement assassinées par les nazis. La Grèce a par ailleurs subi d’importantes pertes humaines pendant la deuxième guerre mondiale, en combattant aux côtés des alliés européens et américains, tandis que la Turquie est demeurée neutre jusqu’en 1945.
A Evros, la Grèce a protégé ses frontières. Nous pensons que nos actions étaient conformes à la législation internationale et nationale et notre réponse aux provocations de la Turquie est légitime. L’Union européenne a été à nos côtés et a exprimé sa pleine solidarité en envoyant tant des moyens que du personnel afin de protéger nos frontières communes.
L’Europe en est ressortie plus unie, tout en rejetant les méthodes turques visant à tirer des avantages de la souffrance humaine.
L’Union européenne se dresse comme un phare de la démocratie, des droits de l’homme et du respect du droit international. Elle arrive en tête de liste dans la quasi-totalité des indices, allant des libertés civiles à l’Etat de droit, en passant par la démocratie et le respect des minorités. A vrai dire, l’Europe est un endroit où il fait bon vivre.
En tant qu’Européens, nous demeurons convaincus que l’Europe peut et doit continuer à fournir le soutien nécessaire aux millions de réfugiés syriens et personnes déplacées qui sont soit à l’intérieur de la Syrie ou accueillies par des pays voisins comme la Turquie, qui compte le plus grand nombre.
Cependant, ni la Grèce, ni l’Union européenne ne traiterons avec la Turquie sous la contrainte, la menace ou le chantage.
L’heure est peut-être venue pour les responsables turcs, notamment au vue de la situation difficile que nous vivons avec la pandémie, de prendre conscience que la diplomatie du chantage n’est plus efficace.
- Traduction en langue française à partir de l’anglais.