Discours de N. Kotzias, ministre des Affaires étrangères, lors de la Deuxième Conférence de Rhodes sur la Sécurité et la Stabilité (Rhodes, 22 mai 2017)
Je voudrais remercier tous ceux qui ont accepté notre invitation d’assister à cette conférence. Certains collègues vont tarder à venir en raison de la réunion extraordinaire d’hier des Etats arabes en Arabie saoudite.
Aujourd’hui, c’est la deuxième fois que nous nous rencontrons. Nous faisons partie d’un espace historique – géographique commun avec de nombreux points communs en matière de politique, d’histoire et de traditions culturelles. Un espace que nous devons transformer en notre maison commune.
Nous savons tous qu’il s’agit d’un espace qui constitue un carrefour de possibilités et de dangers. Un carrefour de perspectives positives et d’événements négatifs sous-jacents. Il s’agit d’un espace avec une histoire et une grande richesse. Avec des populations bien cultivées. Avec de grandes civilisations. Mais aussi avec des forces multiples qui cherchent à le déstabiliser et à le contrôler.
Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour instaurer la paix, la sécurité et la stabilité dans la région. Quiconque cherche à atteindre ces objectifs, doit lutter contre le terrorisme. Il doit défendre les droits de l’homme, y compris leurs droits sociaux et les intérêts des peuples. Il doit promouvoir la coopération internationale sur la base du droit international.
La consolidation de la stabilité et de la sécurité signifie mettre fin à la politique du renversement des régimes qui ne va pas de pair avec des réformes équitables. Il est de notre devoir de contribuer à la consolidation du gouvernement national en Libye et d’encourage la participation à ce gouvernement de toutes les forces qui luttent contre le chaos et le terrorisme.
La consolidation de la stabilité et de la sécurité signifie mettre fin à la guerre en Syrie mais aussi en Irak. Il faut que nous nous mettions d’accord sur un traité de paix qui permettra à la population de la région de rentrer dans ses foyers et de construire un avenir qui offrira à elle-même et à ses enfants une perspective, des aspirations et de l’espoir. Il faut mettre en œuvre un grand programme de reconstruction rationnalisé de ces pays. Il faut stabiliser les zones d’instabilité et régler la question des Kurdes d’une manière pacifique et permanente.
La consolidation de la stabilité et de la sécurité signifie reconnaitre la grande contribution de la Jordanie et du Liban en vue de remédier aux conséquences des guerres de la région qui affectent les grands groupes de la population. Cela signifie le renforcement financier de ces deux Etats, notamment par l’UE. L’objectif est non seulement d’accueillir un grand nombre de réfugiés mais aussi de créer de nouvelles infrastructures économiques, productives ainsi que des zones agricoles et industrielles.
Notre environnement doit devenir plus stable et plus sûr. Le développement de toute société dépend dans une large mesure de l’environnement façonné par d’autres sociétés. Lorsque nous nous trouvons au milieu de cinq grands conflits et de multiples actions terroristes, cela a son prix, pour le tourisme, pour les investissements, pour la façon dont nos sociétés voient et perçoivent le présent, le futur, notamment les nouvelles générations.
Le développement de toute société dépend de l’environnement qui prévaudra : un environnement d’enthousiasme et d’énergie positive créé par le développement social et intellectuel, dans un esprit de moralité et d’optimisme ou un environnement désorganisé marqué par la tristesse et le pessimisme. Ces sentiments tout comme la stabilité des institutions et des sociétés, façonnent de concert un indice permettant de déterminer la productivité d’un pays.
Dans le même temps, l’instabilité continue dans la région, impose la coopération en vue de promouvoir un agenda positif commun pour relever les nouveaux défis. Cela impose la création d’un espace de sécurité et de stabilité.
Dans la deuxième partie de notre discussion, je vous proposerai de mettre en place un groupe de travail commun afin de créer un espace commun de sécurité sur la base de l’expérience internationale et notamment celle de l’OSCE. L’OSCE est la plus grande organisation de sécurité dans le monde avec 57 Etats membres et à son actif des dizaines d’initiatives, conférences est d’accords fondés sur le droit.
L’espace commun que je vous propose de créer sera un espace de coopération et de promotion d’un système multiple de réseaux d’interconnexion de régions et d’Etats. Cette question figure au point trois de l’ordre du jour.
Nous n’avons pas fait ce dont nous sommes convenus l’année dernière, mais nous avons commencé à mettre en œuvre nos décisions telles que la visite commune des ministres des Affaires étrangères au Liban, la coopération entre 5 établissements universitaires, la coordination de notre diaspora, la coopération promue dans le domaine des transports et notamment la mise en place d’un réseau de ports.
Notre région doit relever des défis majeurs. Aucun pays ne peut le faire tout seul. Cela ne peut se faire que grâce à notre coopération, entre nous, avec l’UE, avec d’autres organisations régionales. Notre espace commun doit être le plus sûr et le stable possible. Contre les tendances d’instabilité et de guerres dans la région élargie. Aux vagues d’instabilité, on doit opposer des vagues de stabilité, à travers notre politique et le développement social et économique global.
Je propose dans un premier temps de mettre en place un groupe de travail constitué de nos diplomates de haut rang, lequel étudiera l’expérience internationale des organisations de sécurité, notamment de la CSCE et par la suite de l’OSCE. Il étudiera la façon dont ces organisations ont été créées et les domaines dans lesquels elles se sont développées. Les méthodes suivies et les leçons acquises. Notre plan est d’abord de mettre en place une structure de sécurité pour la Méditerranée orientale et par la suite notre objectif sera d’étendre cette structure dans les régions de l’ouest et du sud. Ce « devoir » sera le principal objet de la rencontre que nous tiendrons la prochaine année.
Afin de réaliser l’objectif cité-ci-dessus, il faudra avoir un échange d’informations plus intensif et plus élargi ainsi qu’une communication d’informations plus fréquente entre nous.
Dans un deuxième temps, dans notre région élargie, il existe de multiples foyers d’instabilité. Nous devons élaborer notre propre plan, conformément aux résolutions de l’ONU et avec l’assistance d’organisations arabes et européennes régionales, en vue de lutter contre les causes qui génèrent cette instabilité :
- Le terrorisme
- L’autoritarisme dans les relations entre les Etats
- Le fanatisme idéologique, religieux et cosmo-théorique
- Les interventions venant de l’extérieur.
Les discussions sur ce dernier facteur sont rares. Mais lorsque les sociétés ont le sentiment que certains décident de leur propre sort sans que ces dernières aient un mot à dire, il est relativement « facile » que ces phénomènes négatifs cités ci-dessus se manifestent d’une manière plus intense.
Vous savez tous que j’ai coutume de dire qu’un des problèmes fondamentaux dans notre région est que ceux qui décident des guerres ne sont pas ceux qui en font les frais ou qui subissent d’une manière différente les conséquences négatives de ces guerres. Il y a, à l’extérieur de notre région, de fortes puissantes, grandes et régionales, qui alimentent les tensions et les guerres. La conséquence est que leur fin n’est pas visible.
Notre région a été une région dans laquelle ont souvent coexisté des sociétés multiculturelles ou / et multi-religieuses : telle était la réalité dans notre région, notamment au Moyen-Orient. Et ces sociétés auraient très certainement survécu s’il n’y avait pas eu des interventions des pays qui aujourd’hui montrent leur petit doigt à de nombreux pays de la région. Car même lorsqu’il n’y avait pas autant d’institutions démocratiques qu’en Occident, ces sociétés étaient des sociétés ouvertes dans le respect de la différence. Et cela ne doit pas se perdre. Notre région a une grande contribution en tant que berceau de développement des civilisations, de naissance des grandes religions monothéistes, en tant que matrice de la démocratie.
Je vous invite à la deuxième Conférence sur la Coexistence culturelle et religieuse au Moyen-Orient qui se tiendra à Athènes les 1 – 2 novembre cette année. Les problèmes de la région ne peuvent être résolus par l’extérieur. De tels efforts échouent toujours. Au contraire, ce sont les politiques dont la souveraineté appartenait aux citoyens eux-mêmes et aux institutions de nos pays qui ont connu du succès. Nos citoyens et institutions doivent organiser la coopération, le dialogue, l’assistance. Ces choix doivent être les leurs. Des choix dont la mise en œuvre et la promotion peuvent être facilités par des tiers. Des choix qui peuvent être soutenus par des tiers du point de vue matériel et intellectuel. Le contraire n’est pas possible.
C’est pourquoi nous disons : non à l’ingérence dans les affaires intérieures de quelque Etat que ce soit qui mènent souvent à des tensions. Promotion de la culture de coopération à tous les niveaux. Si cela n’est pas directement possible, création de réseaux de coopération et mesures de confiance dans plusieurs domaines.
Nos actions et le développement ultérieur de notre coopération sont fondés sur le droit international, l’ONU, l’UE et la coopération que les pays arabes entretiennent entre eux, sur les institutions de cette coopération. Notre force motrice est la vision que nous pouvons créer de concert pour une Méditerranée orientale sûre et stable. Une région de développement de synergies et de paix.
L’instabilité est également apportée par une politique qui « permet », au nom des droits de l’homme, que soit bafoué le premier droit fondamental, celui à la vie humaine. Lorsqu’au nom d’un meilleur avenir tout espoir s’évanouit.
Le refus au droit de la vie pour des centaines de milliers de personnes est accompagné par la destruction des conditions de vie de millions de personnes qui se retrouvent sans travail, sans maison, voire sans nourriture. Des personnes dans l’incapacité de protéger leurs familles dans leurs pays d’origine et d’offrir un quelconque avenir à leurs enfants. Qui sont contraintes de devenir des réfugiés et des migrants économiques.
Les migrants et réfugiés passent par notre région, sans que celle-ci ne constitue leur point de départ ou la raison de leur départ. L’immigration est le produit de conflits, de guerres, de décadence économique et sociale.
Les flux de migrants et de réfugiés doivent être contrôlés depuis leurs régions d’origine déjà. Les transferts / flux de millions de personnes dans des conditions déplorables, permettent le développement du crime le plus abominable, celui du trafic d’êtres humains.
Tout cela créé un terrain fertile pour faire revivre le racisme, le nationalisme et l’intransigeance. Et nous devons faire face à ces problèmes de manière conjointe avec l’ensemble de nos sociétés.
Nous devons trouver des perspectives d’avenir pour nos sociétés. Penser positivement et sur le long terme. Autrement, le terrorisme et le fanatisme occuperont le cœur et l’esprit des hommes, particulièrement des jeunes. Nous devons donner aux jeunes, une perspective et de l’espoir, une vision, des valeurs et des principes.
La question de la sécurité concerne notamment le problème de la sécurité dans les transports maritimes. Je vous rappelle que plus de 33% du commerce mondial et 40% de la consommation mondiale en énergie passe par nos mers.
Dans la période que nous traversons, la Méditerranée orientale, comme la région du Golfe est devenu l’épicentre de nouvelles possibilités d’extraction et de promotion / transport de l’énergie. Notre région, dans le même temps, a toutes les capacités de développer les sources d’énergie renouvelables, qu’il s’agisse du soleil, du vent ou encore de la valorisation des eaux maritimes.
Afin que tout cela puisse fonctionner de manière productive, il est nécessaire que toutes les parties respectent le droit international et le droit de la mer, tandis que dans le même temps, nous ne devons pas permettre le révisionnisme juridique qui ignore l’histoire.
La sécurité des mers ne doit pas être strictement comprise comme la sécurité vis-à-vis des attaques à main armée ou de la piraterie seulement. La protection de l’environnement des catastrophes écologiques est une partie importante de cette sécurité, tout comme la protection de la vie maritime. La question de la sécurité des eaux est une question similaire, notamment des eaux buvables.
Je propose que nous développions un agenda positif de sécurité axé sur la mer. Et je ne me réfère pas seulement à la sécurité et aux transports, mais à des domaines innovateurs qui peuvent donner une impulsion à notre économie, comme l’aquaculture, la pisciculture, le tourisme côtier et les croisières, la biotechnologie marine.
Je pense qu’il serait utile de promouvoir la création d’un réseau composé de nos instituts pour la formation et la recherche maritime, lesquels en coopération avec les départements universitaires correspondants – qui incluront des domaines allant de la biotechnologie jusqu’à la marine marchande – pourraient développer les affaires maritimes.
De la même façon, la coopération entre les centres d’analyse des ministères des Affaires étrangères et les ministères compétents pour la lutte contre le terrorisme pourrait être promue.
La question de la sécurité concerne bien entendu la lutte contre les réseaux de crime organisé et des drogues qui transitent par nos pays.
Malheureusement, les techniques utilisées par le crime organisé, les formes d’organisation et les technologies contemporaines valorisées dépassent les possibilités de certains pays, notamment ceux qui n’ont pas les capacités requises et fonctionnent mal.
La sécurité, certes, ne doit pas être comprise seulement comme un point d’un agenda négatif. Je suis profondément convaincu que la sécurité des sociétés est liée à leur développement, leur justice et leur équité.
Elle est liée au développement d’un agenda positif. L’échange plus systématique de savoir-faire et d’idée de coopération, plus généralement parlant, s’agissant des activités de recherche jouera un rôle particulier dans le développement de cet agenda. Je veux parler des échanges d’élèves, d’étudiants, d’enseignants et de chercheurs.
Une idée serait d’offrir un petit nombre de bourses pour la mise en œuvre des actions précitées. Plus important encore, la création d’un programme universitaire de recherche commun pour notre région, son économie, les sociétés et l’histoire.
Une autre idée serait de planifier et d’organiser un forum commun pour l’immigration. Il faudra en faire de même pour la lutte contre le crime organisé, notamment les réseaux criminels qui assurent la promotion du trafic de migrants. D’analyser des moyens visant à empêcher le commerce d’hommes, d’armes, de stupéfiants. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que tous ces réseaux sont souvent liés au terrorisme et le financent, comme le trafic d’antiquités et de pétrole par DAESH.
Dans ce même contexte, j’aimerais réintroduire l’idée d’une coopération plus intense et planifiée dans le domaine de la culture et notamment du cinéma et de la musique. Nous pourrions soutenir l’objectif de l’Egypte portant sur une semaine du cinéma avec des films de nos pays. Un festival de la musique de Méditerranée orientale aiderait sans doute.
Pour ma part je sais qu’il y a un intérêt marqué pour des actions communes dans tous les pays de notre région pour la protection des monuments.
En économie, je pense que nous devons organiser une rencontre entre les acteurs compétents des relations économiques internationales. Je propose de choisir trois branches pour une coopération plus étroite :
- Le tourisme
- Les transports
- Une branche industrielle, soit une nouvelle technologie, soit une branche plus ancienne mais offrant des possibilités, soit les deux comme l’industrie pharmaceutique.
Une feuille de route pourrait être convenue en vue du renforcement de la coopération entre les petites et moyennes entreprises.
La question qui se pose est de savoir comment tout cela sera possible ? La réponse est au moyen d’un plan et d’une coopération. Nous devons intensifier les contacts des directions compétentes de nos ministères et assurer leur coordination avec les ministères les plus spécialisés.
Réintroduisons l’idée d’un groupe directeur qui sera chargé de se réunir tout de suite après l’été pour concevoir avec exactitude toutes les actions et les planifier. Il se peut que tout le monde ne veuille pas participer à tout, mais ce groupe peut très certainement voir qui s’intéresse et qui est en mesure d’entreprendre une action ou de participer à celle-ci.
L’esprit de Rhodes, comme l’a appelé en premier le ministre des Affaires étrangères du Liban, M. Bassil, est l’esprit de création d’un agenda positif pour notre région et la coopération que nous développons, une conception sphérique sur la sécurité et la protection / le respect des frontières. C’est l’esprit positif dans le développement du dialogue et des initiatives créatives que nous pouvons entreprendre. L’esprit de la coexistence pacifique créative des civilisations et des religions. Forger des relations de fraternité entre nos peuples et la jeunesse.
L’esprit de Rhodes consiste à faire revivre des milliers d’années de coopération et d’échange de biens, de civilisations, d’idées entre nos pays, c’est l’expression de l’unité historique en Europe du sud-est avec l’Afrique du nord et les parties orientales de la Méditerranée, la péninsule balkanique et l’Italie avec les pays du Golfe.
Lors de mon dernier déplacement en Arabie Saoudite, j’ai effectué une visite guidée dans le nouveau musée archéologique qui rassemble un grand nombre d’objet, datant du commerce entre les régions du Golfe et les villes de l’Antiquité grecque, mais aussi de l’époque de l’empire romain. Tout cela atteste de nos liens et du fait que le développement des deux régions s’est fait à travers le contact étroit et dans une certaine mesure la coopération étroite. Et si cela était possible il y a 4 – 5 000 ans, cela s’impose aujourd’hui.
Pour la mise en œuvre de cet esprit, l’activité du groupe directeur est nécessaire, que nous définissions au sein de nos ministères des Affaires étrangères un contact qui composera le réseau de promotion de nos décisions et orientations et organisera des rencontres thématiques qui soutiendront notre troisième rencontre à Rhodes et je propose comme date à la fin du mois d’août 2018.
Je vous remercie de votre attention et attends vos idées.