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Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, N. Kotzias à Alexis Papachelas lors de l’émission «Istories» (mardi, 21.02.2017)

Wednesday, 22 February 2017

JOURNALISTE : Monsieur le ministre, je vous remercie de bien avoir voulu accepter ce débat – interview et il y a quelques heures un incident important s’est produit à Farmakonisi. Commençons donc par cela. Votre avis à ce sujet. Est-ce une escalade et êtes-vous préoccupé ?

ΚΟΤΖΙΑS : Ecoutez, la Turquie est toujours sous étroite surveillance par les services [du ministère] et moi-même personnellement et je pense que nous tous et vous en tant que journaliste – et journaliste éminent qui plus est – et nous en tant que personnalités politiques du ministère des Affaires étrangères, avons de nombreuses raisons de réfléchir le soir à ce que fait la Turquie. Comme vous le savez, j’ai qualifié la Turquie, depuis un an et demi, de puissance nerveuse, une puissance comme celle de l’Allemagne après Bismarck au 19e siècle, qui était devenue nerveuse et ne maintenait pas les équilibres avec les autres pays voisins – il semblerait que certains en Turquie pensent que la Grèce pourrait être comme la Syrie ou l’Irak. J’aimerais dire, à l’occasion de cette interview – et comme vous le savez d’ailleurs, j’en accorde très peu – qu’ils devraient réfléchir de nouveau à ce genre de jeux. Autrement dit, le jeu qui s’est produit à Farmakonisi n’est pas un jeu. Il s’agit d’une violation grave du droit international et je pense qu’ils doivent savoir que nous ne serons pas toujours tolérants et notre réponse ne sera pas seulement celle que nous avons donnée. Elle sera beaucoup plus dure.

JOURNALISTE : Nous avions la fameuse tournée de l’Etat-major de la défense nationale turque à Imia.

N. KOTZIAS : Non pas à Imia, dans la région d’Imia. Il n’a pas osé le faire et c’est bien.

JOURNALISTE : Oui, mais c’était dans nos eaux territoriales.

N. KOTZIAS : Il voulait monter jusqu’à Imia, mais il ne l’a pas fait, dans ce sens-là.

JOURNALISTE : Vous pensez qu’il voulait descendre à terre ?

N. KOTZIAS : Ils aiment toujours faire une petite promenade sur le sol grec. Les odeurs de la terre grecque sont toujours très attrayantes.

JOURNALISTE : Et s’il descendait à terre, quelle aurait été la réponse ?

N. KOTZIAS : Il n’aurait pas pu descendre à terre car nous avions pris les mesures nécessaires. Comme je dis que la Turquie est une puissance nerveuse, cela signifie que nous protégeons les espaces grecs avec plus d’attention que dans le passé. Et la Turquie commet une erreur. Elle pense qu’en raison de la crise économique qui frappe notre pays, nous ne sommes pas en mesure de protéger la sécurité du pays. Ils se trompent. Comme nous rencontrons des problèmes économiques, nous veillons plus à la sécurité du pays et à notre souveraineté que dans le passé.

JOURNALISTE : Pensez-vous qu’ils agissent suivant un « manuel » ? Est-ce qu’ils font quelque chose à Farmakonisi pour faire autre chose après?

N. KOTZIAS : Je ne pense pas que la Turquie ait toujours une stratégie bien pensée pour toute action qu’elle entreprend. Je pense qu’elle a une idée fondamentale : transformer l’Egée en une zone grise et par la suite revendiquer cette zone grise. Tels sont les deux pas qu’elle souhaite entreprendre. Or souvent, les incidents qui se produisent en Egée et les violations de la part de la Turquie sont souvent le fruit d’initiatives d’acteurs locaux. Ce n’est pas par hasard que les hauts officiers du service de gardes côtes qui ont été arrêtés après le coup d’état larvé de cet été avaient, dans leur majorité, mené les incidents en Egée, au cours des mois ayant précédé le putsch. Maintenant la Turquie a en tête de créer des incidents à Panagitsa, près d’Oinousses. Elle s’est rendue compte avant-hier qu’elle ne pouvait le faire et a essayé d’apporter sa réponse quelque part ailleurs.

JOURNALISTE : Vous «partagez» la théorie disant que comme nous avons fait l’exercice à Panagitsa, ils feront celui de Farmakonisi et alors ce sera l’escalade ?

N. KOTZIAS : Je ne pense pas que l’escalade soit nécessaire. Je pense aussi que l’exercice de nos droits souverains ne peut être assimilé à la violation du droit international par l’autre partie.

JOURNALISTE : A un moment, il y avait beaucoup de tensions de la part de la Turquie suite aux déclarations du ministre de la Défense qui a proféré certains propos très durs, comme « l’armée turque est inutile », je me souviens. Qu’en pensez-vous ?

N. KOTZIAS : Je pense que le point positif de la semaine passée, avant mon départ pour mes déplacements, était que la partie grecque, notamment le ministre grec de la défense n’a pas répondu aux attaques lancées par la Turquie contre lui personnellement. Car les principaux acteurs en Turquie doivent comprendre que les attaques personnelles et la tentative visant à rabaisser un ministre du gouvernement de l’autre partie ne peuvent être prises au sérieux et l’opinion commune de ce pays ne peut qu’interpréter ces attaques comme un défoulement. Le langage adopté par les Turcs pour parler d’un ministre grec de la Défense nationale n’est pas propre aux relations internationales. Et le ministre de la Défense nationale a bien fait de ne pas leur répondre. Et j’aimerais que ce fait soit enregistré dans les points positifs de la semaine passée.

JOURNALISTE : Une question, pour être bien clair. Etes-vous en parfait accord avec le ministre de la Défense ? Vos vues convergent-elles ?

N. KOTZIAS : Lorsque cela est nécessaire, nous nous entendons toujours avec le ministre de la Défense.

JOURNALISTE : Il y a cette fameuse histoire des « 8 officiers turcs » qui a vraisemblablement été un élément déclencheur qui a conduit à une partie de cette tension. Tout d’abord, pourquoi avons-nous autorisé cet hélicoptère à entrer ? N’y avait-il pas un moyen d’empêcher cela ? Nous savions tous qu’il y avait beaucoup de mouvements au moment des faits et que ce serait un scénario possible…

N. KOTZIAS : Je crois que si les services compétents au nord de la Grèce, par où est passé l’hélicoptère, savaient qui était à son bord et quelles auraient été les conséquences, ils ne l’auraient jamais laissé passer. Mais j’imagine, qu’ils ont été surpris par le fait qu’un hélicoptère soit descendu sur le sol grec avec à son bord 8 officiers qui se disaient persécutés par l’Etat turc et c’est ce qu’on jugé les tribunaux grecs, tandis que l’Etat turc affirme que ces officiers sont impliqués dans le coup d’Etat.

J’aimerais être clair sur le fait que nous avons deux principes : du point de vue politique nous dénonçons tout type de coup d’Etat et nous serions le dernier pays – et surtout la Gauche grecque – à accepter ou tolérer un coup d’Etat militaire. D’un autre côté, à la question de savoir qui est putschiste ou non et s’il bénéficiera ou non d’un procès équitable en Turquie, c’est aux tribunaux grecs de trancher. La condamnation politique du putsch ne veut pas dire que tout citoyen turc qui est accusé d’avoir commis un coup d’Etat par Ankara est jugé en tant que tel par les tribunaux grecs. Il s’agit de deux pouvoirs différents, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire et j’espère qu’à un moment donné l’autre partie le comprendra mieux.

JOURNALISTE : Vous avez très vraisemblablement eu connaissance du dossier, des informations qu’ils nous [la Grèce] ont envoyées.

N. KOTZIAS : C’est à nous [le ministère des Affaires étrangères] qu’ils les envoient.

JOURNALISTE : C’est exact.

N. KOTZIAS : Ils commencent toujours par le ministère des Affaires étrangères.

JOURNALISTE : Et vous, indépendamment de la justice, êtes-vous convaincu de l’implication de ces hommes dans le coup d’Etat ?

N. KOTZIAS : Je ne vais pas me prononcer sur une question qui a déjà été tranchée par la justice grecque. Dès lors que les tribunaux ont décidé que ces hommes pouvaient et devaient rester en Grèce, alors ils peuvent et doivent rester en Grèce.

JOURNALISTE : Monsieur Erdogan a dit à un moment donné qu’il avait reçu l’assurance du premier ministre grecque qu’ils retourneraient en Turquie. Est-ce vrai ?

N. KOTZIAS : Je pense que la Grèce n’est de manière générale pas disposée à couvrir les putschistes. Mais premièrement, ce ne sont pas nous qui décidons, en tant que gouvernement du pays, mais les tribunaux et deuxièmement, je pense – et cela est très important – que la Turquie devra elle-même comprendre qu’elle doit appliquer l’Etat de droit, protéger les personnes qui sont en cours de procès ou entre les mains de la justice. Pour le dire plus simplement, elle doit garantir que leurs droits humains ainsi que leur intégrité, corporelle et psychique sera protégée, et par la suite revendiquer toute autre question. Autrement dit, quand la Turquie dit « je vais rétablir la peine de mort », alors qu’il y a des dizaines d’articles disant que ceux qui sont entre les mains de la police ou autre autorité passent un mauvais quart d’heure et que ces articles n’ont pas été démentis, alors je dis que le problème concerne les Turcs eux-mêmes.

J’ai d’emblée dit que nous condamnions le coup d’Etat, que nous espérions et voulions que la Turquie devienne plus démocratique, plus européenne. Nous espérons et voulons par ailleurs que la Turquie adopte une conception de la justice similaire à celle d’un pays de droit européen.

JOURNALISTE : Il n’y a pas eu, de notre côté, une quelconque assurance que la question serait réglée.

N. KOTZIAS : Nous pensons qu’en ce qui concerne les putschistes, ceux qui s’avèrent être des putschistes et pour lesquels il existe une assurance qu’ils seront traités conformément aux normes européennes, nous n’avons aucune raison de leur accorder l’asile. Si par exemple Patakos et Papadopoulos avaient échoué en avril 1967 et fuyaient en Italie, une Grèce démocratique, la justice du pays aurait le droit de les juger. Mais si ces personnes risquaient d’être torturées ou exécutées, autrement dit que se produise ce pour quoi ils ont mené le coup d’Etat, je pense que l’Italie et la justice italienne auraient une conception différente de cela.

JOURNALISTE : Les Turcs insistent là-dessus car je comprends qu’ils insistent sur le retrait de la décision. Au moyen des démarches entreprises.

N. KOTZIAS : Les Turcs – comme a le droit de le faire toute partie qui accuse l’autre – utilisent et valorisent tous les moyens juridiques afin que se poursuive la crise concernant ces personnes. Je pense que la justice grecque tiendra compte de tout nouvel élément que lui fournira la partie turque.

JOURNALISTE : Connaissons-nous le sort qui sera réservé à ces personnes à la fin ?

N. KOTZIAS : J’espère qu’elles pourront vivre comme elles ont le droit de vivre et qu’il n’y aura pas de répercussions négatives sur leurs familles.

JOURNALISTE : Pensez-vous que l’histoire des « 8 officiers » a « coûté cher » à M. Erdogan et que toute cette tension est liée aux « 8 officiers » ?

N. KOTZIAS : Je ne pense pas que toute cette tension soit liée aux « 8 officiers », qu’il soit personnellement gêné par le fait que certains putschistes – s’il pense réellement qu’ils étaient putschistes – soient dehors au lieu d’être entre ses mains. Il y a peut-être un peu de cela. Mais la nervosité de la Turquie existe bien avant la tentative de coup d’Etat de l’été dernier et bien avant l’affaire des « 8 officiers ». La nervosité de la Turquie tient au fait qu’elle est en proie à de gros problèmes au niveau interne, à de fortes contradictions.

Si Erdogan, qui veut devenir un président satisfaisant les exigences les plus strictes et jouissant d’importants droits, qui souhaite rester – ce qui n’est pas le cas par exemple aux Etats-Unis avec le président – en tant que chef du parti de la majorité, gouverner et diriger la politique gouvernementale et jouir de droits sur le parlement, alors que nous savons qu’un système présidentiel et semi-présidentiel fait la nette distinction entre le pouvoir exécutif du président et le pouvoir législatif du Parlement…

Ici, il y a une confusion et l’échec de l’armée turque en Syrie qui a fait de nombreux morts et n’apporte pas les résultats escomptés – et à la vitesse espérée par l’Etat-major turc – rend nerveux M. Erdogan, car il semblerait que cela influence de manière négative les perspectives d’un référendum, lorsque tous ces cercueils arrivent en Turquie.

Ce n’est pas comme il y a 20-30 ans où la société turque se fichait bien de savoir – enfin elle ne se fichait pas – bref, elle n’était pas bouleversée par ces cercueils. La Turquie a changé. Je dirais que la partie occidentale de la Turquie s’est européanisée, dans une large mesure, et sa conception sur la guerre et la paix n’est pas exactement la même que dans le passé.

Le fait que la Turquie ait perdu la moitié des pilotes de son armée de l’air – car ceux-ci ont soit été à l’étranger, soit ils sont en prison, soit ils ont été limogés – joue également un rôle important. Il en résulte que de nombreux pilotes turcs sont soit très jeunes sans trop d’expérience, soit ce sont des retraités que l’on a fait revenir et qui en fait sont coupés, du point de vue de la procédure, de ce genre de vols, comme ceux qui sont effectués en Egée. Et eux-mêmes font preuve, au niveau personnel aussi, de nervosité. C’est pourquoi nous devons être très calmes, très lucides. Certes, la violation du droit international a, à chaque fois, les répercussions qu’elle doit avoir.

JOURNALISTE : On m’a dit que le jour où il y a eu cette tournée, cette visite à Imia, il y avait tellement d’avions qu’il y avait un risque de collision.

N. KOTZIAS : Il y a toujours des risques de collision lorsqu’il y a des batailles aériennes, où l’autre a « verrouillé » sa cible et peut l’abattre en appuyant simplement sur un bouton. Et cette possibilité qu’a l’armée de l’air grecque s’est fortement accrue en raison soit du manque d’expérience des pilotes turcs ou bien du fait qu’ils sont coupés de ces vols, comme je l’ai dit plus haut. Et cela les rend nerveux, ils ont des autorités nerveuses en Egée aussi, comme je l’ai décrit, et avant le coup d’Etat, et ils ont des dirigeants politiques nerveux. Tout cela est dangereux.

Et c’est pourquoi – comme vous avez pu le constater – je parle peu mais agis beaucoup. Aujourd’hui, nous avons passé des accords avec toutes les grandes puissances de notre planète. Nous avons informé toutes les organisations internationales et bien entendu nous avons effectué les démarches nécessaires vis-à-vis de la Turquie au sujet des violations de nos eaux territoriales et de leur attitude. L’environnement international et la loi internationale sont en faveur de nos intérêts, ce sont des outils que nous n’abandonnerons pas. Mais j’aimerais redire, depuis ici, dans le cadre de cette interview avec vous M. Papachelas, que ce ne sont pas les seuls outils dont nous disposons. Nous ne sommes ni un pays détruit, comme la Syrie, si un pays désorganisé, comme l’Irak.

JOURNALISTE : Simplement, il y a un problème ici, celui de la contestation permanente. Que ce soit avec le patrouilleur qui se rend à côté, à Panagia, ou bien ce qui s’est passé ce matin. Cela créé un fait accompli en quelque sorte, que c’est une « zone grise ».

N. KOTZIAS : Non personne ne créé ce fait accompli.

JOURNALISTE : Si à partir du moment où nous ne les repoussons pas.

N. KOTZIAS : Non seulement nous les repoussons, mais nous les contestons et soumettons les faits aux organisations internationales appropriées.

JOURNALISTE : Oui, mais quand tout cela s’accumule, est-ce que cela ne créé pas un fait accompli ? C’est ce que j’essaie de comprendre.

N. KOTZIAS : Non, non. Ce que je veux dire, le problème en Turquie aujourd’hui est que ce n’est pas seulement le gouvernement officiel qui le fait. C’est aussi l’exigence de l’opposition laïque, ce n’est pas seulement Erdogan qui permet ou empêche ces contestations. Les premiers instigateurs de ces contestations au sein du parlement turc et qui ont « entraîné », entre guillemets, la partie Erdogan, ce sont les Kémalistes, qui, pour répondre au nationalisme manifesté par Erdogan, ont étendu le nombre des îles et îlots qu’ils contestaient, de 18 à 160-130, selon le jour.

Et ce que je dis aux acteurs internationaux et lors des rencontres internationales, c’est que parmi les îles faisant l’objet d’une contestation – parce qu’on doit démontrer cette absurdité par un exemple – il y a aussi Gavdos. Comme vous le savez très bien, Gavdos est l’île grecque la plus au sud située sur l’un des points les plus à l’ouest liés à l’Egée. Par conséquent, lorsque vous ouvrez la carte et la montrez à un ami étranger ou à un étranger neutre et que vous lui dites « voici [les îles] que conteste la Turquie et pas seulement ces îlots rocheux », il comprend de suite que l’on a à faire à des pratiques néo-ottomanes révolues, qui sont dépourvues de fondement juridique, moral et politique.

JOURNALISTE : Simplement, pour comprendre, il y a très vraisemblablement une « ligne rouge ». Est-ce que la « ligne rouge » signifie qu’un commando ou soldat turc ne doit pas marcher sur l’îlot ?

N. KOTZIAS : La «ligne rouge » est celle qu’on leur a désignée.

JOURNALISTE : Et qui est ?

N. KOTZIAS : Rouge.

JOURNALISTE : Et pensez-vous que cela soit clair pour eux ?

N. KOTZIAS : Il y a toujours un problème, il n’est pas sûr que l’oreille entende toujours ce que dit la bouche. J’espère que leurs oreilles entendent bien.

JOURNALISTE : Ont-il un peu marché sur la ligne rouge avec tout ce qu’ils ont fait jusqu’à aujourd’hui ?

N. KOTZIAS : Ils ont failli ce matin.

JOURNALISTE : D’accord. Comment les acteurs internationaux perçoivent-ils cette tension ? Y a-t-il une initiative en toile de fond, de la part des Américains, Russes, de l’OTAN ou autre ?

ΚΟΤΖΙΑS: Non. Tout d’abord, je pense que les Américains ne sont pas dans la même position qu’ils étaient dans les années ’90 et n’ont pas cette volonté de s’impliquer dans ces processus. Les Russes n’aiment très certainement pas ce que font les Turcs en Egée, mais ils ont leur coopération en Syrie. Erdogan pense que cette coopération peut être généralisée sur le long terme. Je pense qu’il ne connaît pas bien la politique étrangère et la diplomatie russe.

L’Union européenne est au courant des différents développements et c’est elle qui, de différentes façons, fait des remarques à la Turquie. Je vous rappelle que c’était l’Union européenne qui n’ pas accepté les propos d’Erdogan sur le traité de Lausanne, à savoir que l’on peut violer les dispositions convenues au niveau international. Et ce, parce que l’Union européenne est d’un côté un système commun fondé sur le droit. Autrement dit, le moyen – comme dirait un théoricien des systèmes de l’Union européenne – est la loi et le droit. Et par conséquent, elle est obligée – mais c’est aussi sa volonté – de rappeler à la Turquie qu’elle ne peut pas violer le Traité de Lausanne et les eaux territoriales européennes.

Et d’ailleurs ces derniers jours, je vais vous révéler que nous avons parlé avec l’OTAN. Et comme vous vous le rappelez, la Turquie veut que l’OTAN – qui est venue au sujet de la question des réfugiés – se retire de l’Egée. Et nous leur avions dit que l’une des raisons à cela n’est pas que la Turquie est contre l’OTAN, mais parce qu’elle ne veut pas qu’il y ait un observateur international qui pourrait voir ce qu’elle veut faire. Et ce n’est pas un hasard si le dernier incident, que nous avons mentionné tout au début de notre discussion, a eu lieu dans la région 3 et 4, là où la Turquie a exclu l’éventualité d’une coopération pour décourager les flux de réfugiés.

JOURNALISTE : Est-ce que vous pensez que la présence de l’OTAN aide en quelque sorte ? Dans le sens où il y a une empreinte, de toute évidence…

N. KOTZIAS : Je pense que la présence de l’OTAN gène la Turquie, notamment les jours ou les périodes où elle veut violer le droit international.

JOURNALISTE : Pensez-vous que la tension risque de s’étendre au sud, entre Rhodes et Castellorizo, qui est une question épineuse dans notre relation ? Car d’après ce que l’on a pu voir, ils ne l’ont pas encore fait.

N. KOTZIAS : La Grèce doit toujours être préparée du point de vue militaire, moral, politique et diplomatique pour tout type d’incident. Mais dans le même temps, la préparation est la raison pour laquelle elle ne suit pas de politique de dissuasion pour ce genre d’incidents. Par conséquent, si l’on voit certaines régions susceptibles de devenir le théâtre d’un incident, notre travail à nous, et notamment celui de la diplomatie, consiste à ne pas en arriver jusque-là. Et je dirais que souvent nous n’en sommes pas arrivés jusque-là grâce aux interventions de la diplomatie. Nous maintenons ouvertes toutes les voies de communication, nous n’avons aucune attitude agressive vis-à-vis de la Turquie, nous sommes le pays qui défend le parcours européen de la Turquie car la démocratisation et l’européanisation de la Turquie constituerait un gain énorme pour nous. Nous maintenons ouvertes les voies de communication, le dialogue et faisons clairement savoir que nous n’avons pas l’intention de faire marche arrière ou d’accepter une revendication, quelle qu’elle soit.

JOURNALISTE : Pouvez-vous expliquer à un individu ordinaire – car je crois que l’un des problèmes que nous avons est qu’aucun citoyen ne comprend – l’enchevêtrement des relations gréco-turques et où pourrait éventuellement aboutir…

N. KOTZIAS : Pas seulement les individus ordinaires, mais souvent les spécialistes aussi.

JOURNALISTE : Je suis d’accord.

N. KOTZIAS : Et à chaque fois que quelque chose se produit, les spécialistes eux-mêmes doivent y réfléchir à nouveau.

JOURNALISTE : Simplement, j’aimerais que l’on explique pourquoi Panagia c’est important, pourquoi Farmakonisi c’est important comme … « zones grises » et est-ce que c’est comme un pion qu’ils ont mis pour le reprendre ou bien ils l’ont mis sur la table pour que soit menée une négociation à un moment donné ?

N. KOTZIAS : Ecoutez, ce que la Turquie a toujours voulu – et vous le savez mieux que moi – c’est couper l’Egée en deux, au point médian, c’est-à-dire à la 25e parallèle. Elle veut ne pas reconnaître … initialement, elle a essayé de ne pas reconnaître les droits juridiques, le droit international s’agissant des îles grecques. De ne pas reconnaître qu’ils ont un plateau continental, des eaux territoriales, etc. Au cours des deux précédentes décennies, elle est passée à un nouveau niveau de « qualité », entre guillemets. Elle ne met pas systématiquement en doute que les îles grecques n’ont pas des eaux territoriales ou des droits relatifs à un plateau continental, mais elle conteste le fait que certains îlots rocheux, voire des îles habitées soient grecs. D’ailleurs, depuis quelques années, la presse turque présente la Grèce comme s’étant emparé de ces îlots.

Ceux qui sont dans le camp Erdogan disent aux Kémalistes que « les Grecs s’en sont emparés lorsque vous étiez au pouvoir », les Kémalistes quant à eux disent que c’est Erdogan qui, en 2006, nous a remis 16 îles. Ils se disputent pour des questions d’autrui, une dispute qui n’a rien à voir avec les faits réels. Autrement dit, comment et de quelle façon nous nous sommes emparés de ces îles que les Turcs revendiquent maintenant ? Ce qu’ils veulent c’est contester et élargir « le paquet » d’une négociation future ou d’une justification future concernant des actions qui sont contraires au droit international. Ainsi, la Turquie essaye de contester le droit grec, soit en contestant les droits qui résultent des îles grecques, soit – quand elle ne peut le faire, en contestant leur caractère grec, même si ces îles sont habitées par des Grecs depuis des millénaires. C’est une stratégie qui, à leur sens, pourrait porter ses fruits à long terme.

Mais cette stratégie ne peut porter ses fruits pour la simple raison que le droit international est très clair s’agissant de la question dont nous discutons, les acteurs internationaux le savent bien. Elle ne peut porter ses fruits car nous ne les laissons pas entreprendre leurs actions sans réagir – car vous savez s’ils vous disent « cette maison n’est pas à vous » et si vous ne répondez pas « non elle est à moi », la cour internationale dira « oui, mais pendant 30 ans, ils en ont contesté la propriété et vous n’avez rien dit ». C’est pourquoi, sans être provocateurs, pour toute action qui est la leur, il y a la réponse juridique, politique et diplomatique appropriée qui s’impose.

JOURNALISTE : Il y a eu une négociation avec la Turquie, avec lesdits contacts exploratoires. Sommes-nous sur le point de parvenir à une solution ? Est-ce que les négociations se poursuivent ? Est-ce qu’elles sont « bloquées » ? Où en sommes-nous ?

N. KOTZIAS : Il y a eu un certain « blocage » car tous ceux qui participent, du côté turc, se sont retrouvés à d’autres postes en dehors de la Turquie, ils sont allés occuper des fonctions à l’étranger et par conséquent, nous traversons une période transitoire. Mais lors de la rencontre tenue entre les Secrétaires généraux des deux ministères récemment, nous sommes convenus du fait que nous devons conserver cette voie de communication. De manière générale, je suis en faveur de la poursuite de la discussion…

JOURNALISTE : Est-ce que cette discussion a abouti à quelque chose ? Est-ce qu’une solution s’esquisse à l’horizon ?

N. KOTZIAS : Oui, elle le pourrait, mais les Turcs font marche arrière. C’est-à-dire qu’à un moment donné, ils semblent comprendre que le droit international doit être appliqué, sans doute comprennent-ils également que ce n’est pas bon de tout garder en suspens. Puis, ils y réfléchissent de nouveau et reviennent à leurs revendications. Lorsque l’on dit d’un pays qu’il est nerveux, il est également contradictoire. C’est-à-dire que l’on va trouver dix raisons pour justifier le fait qu’ils veulent un compromis, une solution etc. Et encore dix autres raisons qui expliquent son agressivité ou sa nervosité.

JOURNALISTE : Une question qui demeure est qu’à un moment donné, si une nouvelle tension se produit, personne ne peut imaginer une guerre qui durera des jours ou quelque chose dans le genre. Manifestement, la communauté internationale fera pression sur la Turquie et la Grèce, soit pour une négociation bilatérale ou pour saisir la cour internationale.

N. KOTZIAS : Cela aurait été bien si nous nous en étions tenus aux accords d’Helsinki. A ce sujet, j’ai un point de vue. Vous savez, les accords d’Helsinki avaient contraint la Turquie à accepter que pour toute question qu’elle aurait pu avoir, nous aurions saisi la cour internationale de la Haye. Les Accords d’Helsinki, nous avons facilité leur retrait des engagements qu’ils avaient pris, car d’autres puissances politiques ont estimé ce genre d’accords ne sont pas bons pour la cour internationale de la Haye.

Je ne vois d’autre voie pour la résolution de nos différends que la diplomatie et le droit et, par extension, si besoin est, d’utiliser tous les cadres juridiques existants au sein de la communauté internationale. Cela ne signifie pas que nous allons en ce moment – car on m’a posé la question – devant les tribunaux. Le droit international est ce qui fait notre force, par rapport à notre mentalité et à notre taille en tant que puissance. Cela ne signifie pas que nous ne nous basons pas sur d’autres types de force.

JOURNALISTE : Vous pensez donc qu’à un certain moment nous aurons obligatoirement recours à la justice.

Ν. ΚΟΤΖΙAS : Pas obligatoirement mais je pense que si j’avais à choisir entre une cour de justice et la guerre, je choisirais la cour de justice. Si j’avais à choisir entre la cour de justice et un véritable accord bilatéral, substantiel et un processus menant à un accord, je choisirais la dernière option. Et pour le moment, c’est à la dernière option que nous pensons. Avec toutes les difficultés que cela entraîne en raison de la situation dans laquelle se trouve la Turquie.

JOURNALISTE : M. Erdogan, un homme tout puissant en apparence serait-elle la personne avec laquelle vous pourriez arriver à un accord de ce genre ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Ce que je retiens de M. Erdogan est qu’il n’y a pas eu d’incident grave tout au long de sa Présidence et de l’exercice de ses fonctions en tant que Premier ministre. Cela ne signifie pas qu’un incident grave ne pourrait être provoqué par des forces dans son entourage.

Je pense que M. Erdogan – si les choses s’apaisent un peu en Turquie et qu’il prend ce qu’il veut, sinon il pourrait partir – mais s’il reste et qu’il prend ce qu’il veut, il envisagera les relations gréco-turques avec un esprit plus lucide. Ce que je soutiens auprès des Turcs est que ces derniers doivent revoir leurs relations avec les pays dans leur région. Leurs relations avec la Russie ne datent pas depuis très longtemps. Nous avons vu il y a quelques mois que le comportement entre les deux Etats était totalement différent. Avec les Arméniens ils n’entretiennent même pas de relations diplomatiques, en raison de la question du génocide.

En Irak et en Syrie ils sont d’une certaine manière dans un état de conflit. Le seul pays avec lequel ils ont des relations normales – et cela devrait être le cas – et qui soutient leur parcours européen, est la Grèce. S’ils sont un peu intelligents et qu’ils "regardent plus loin que le bout de leur nez", je pense que leur attitude s’améliorera. S' ils continuent d' évaluer les événements dans la région sur la base de leur nervosité cela pourrait empirer la situation.

JOURNALISTE : Toutefois, si j’étais à la place d’Erdogan et que je regardais l’environnement international, je me dirais que si je fais un acte d’agression contre la Grèce, les Européens ne feraient rien parce qu’ils ont peur de moi à cause de la question des réfugiés.Les Américains se trouvent actuellement dans un état chaotique et ils ont besoin de moi pour faire face à l’EI et pour ce qui est des Russes, les relations sont bonnes et ils ne se retourneront pas contre moi. Il n’y a pas un problème là ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Cela n’est pas aussi facile car outre l’EI, il existe également la question des Kurdes et pour ce qui est de cette question Erdogan n’a pas obtenu ce qu’il voulait. Pour ce qui est maintenant de la Grèce, de l’Union européenne et de la Turquie. Cette dernière doit mener une négociation très importante avec l’Union européenne, une négociation qui dépend tant de nous, que de Chypre. Il s’agit de l’union douanière. L’union douanière est une affaire qui pourrait apporter à la Turquie des avantages à hauteur de 60 à 80 milliards d’euros, une somme pas du tout négligeable pour une économie en récession.

Mais aussi d’autres avantages. Il existe des instruments au moyen desquels nous pourrons travailler, attirer la Turquie vers une voie européenne et dans le même temps exercer des pressions sur elle afin qu’elle renonce à son attitude actuelle. Je pense que l’union douanière est un exercice extrêmement intéressant pour la diplomatie grecque. Une union douanière entre la Turquie et l’Union européenne.

JOURNALISTE : Mais en cas de crise, pensez-vous que les acteurs dont je viens de vous parler, à savoir les Etats-Unis, la Russie, l’Europe, feront plus que de garder la même distance par rapport à tous les intérêts en jeu ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Je ne veux pas que nous arrivions à une situation de crise et par conséquent je ne veux pas décrire ce qui aura lieu après. Il est vrai que je pense à la crise mais le plus important est de travailler pour éviter la crise.

JOURNALISTE : Est-ce que les canaux de communication avec l’autre partie sont toujours ouverts ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Oui, nous avons eu aussi des discussions pour préparer la rencontre entre les deux gouvernements à Thessalonique en échange de la visite effectuée par le Premier ministre à Izmir.

JOURNALISTE : Est-ce qu’il existe des lignes rouges lorsqu’il y a des tensions ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Nous devons discuter de tout. Lorsqu’il y a une grande tension, il est tout simplement difficile de tout mettre en œuvre.

JOURNALISTE : Je voudrais vous poser une question maintenant concernant la Thrace. D’après ce que je vois, il existe une tension au sein de la minorité, entre les partisans de Gülen et ses opposants. Il existe aussi quelques incidents qui, d’après certains, pourraient être des actions de provocation, des voitures incendiées, etc. Etes-vous préoccupés par ce qui se passe actuellement en Thrace ?

Ν. KOTZIAS : La Thrace fait partie du territoire grec, de l’Etat grec et nous devons toujours veiller à ce que toutes les lois soient appliquées. En outre, tout comme il n’est pas bon d’écrire sur les murs – vous avez vu l’incident survenu avant-hier à l’université Panteion avec Aggelos Syrigos – il n’est pas également bon, mais cela revêt une autre dimension politique bien évidemment, d’écrire sur les murs à Komotini et dans les quartiers où vit actuellement la minorité musulmane.

Je pense que ce qui contrarie les Turcs actuellement c’est qu’une grande partie de la population des Roms et des Pomaques sont devenus plus conscients de leur identité nationale grecque, plus que dans le passé, et de leur diversité par rapport à la partie de la minorité qui s'auto-définira comme étant d' origine turque.

Ma deuxième remarque est qu’au sein de cette partie d' origine turque, il y a une chasse aux sorcières, ils y ont découvert des partisans de Gülen – j’ignorais leur existence – et il y a comme vous le savez cette affaire avec cet enseignant qu’ils essayaient de faire partir – de manière illégale – d’une école réservée aux enfants musulmans.

Je pense que d’une part il n’est pas bon d’importer en Grèce les conflits intérieurs de la Turquie et d’autre part, cela montre que les choses ne sont pas exactement telles que décrites par ceux qui qualifient cette partie de la population de compacte, laquelle entretient des relations avec la Turquie et suit les ordres donnés par – d’après ce que l’on apprend - le Consulat de Komotini, etc.

On voit qu’il y a des diversifications et que, comme il arrive au sein de chaque société, il y a des controverses et des aspirations. Pour moi ce qui est important en Thrace est de mettre en œuvre la décision prise par le Premier ministre et ce dernier a confié cette tâche à moi, en ma qualité de membre du gouvernement et non pas en celle de ministre des Affaires étrangères, c’est-à-dire de mettre en place un think tank, un organisme politique qui sera chargé d’examiner les questions liées au développement économique et social en Thrace, ce qui constitue le problème majeur. Car cette société est en train de se priver d’une grande partie de sa jeunesse qui part à l’étranger. Les femmes de ces personnes ne mènent pas une vie heureuse, elles vivent renfermées dans les familles des membres de la minorité, il y a des phénomènes de diffusion de drogues à grande échelle.

Pour moi ces phénomènes négatifs impactant le tissu social sont plus graves que l’influence exercée ou non par le Consulat de Komotini. Pourquoi je dis cela ? Car des tiers ne peuvent exercer leur influence sur la région que s’il y a des problèmes sociaux et économiques. On doit insuffler un élan de développement à la Thrace, on doit la rendre de nouveau attrayante aux investissements, on doit garder la population là-bas et je pense que de cette façon les phénomènes de ce genre ou les actions de provocation dont vous avez parlé, seront limités mais je ne dis pas bien évidemment qu’ils seront éradiqués.

Malheureusement, j’ai envoyé deux fois une lettre aux partis grecs en leur demandant de nommer un représentant ainsi que de fournir leur expertise, en vue de discuter de ces questions et de les régler en tant que problème national qui nous concerne tous ainsi que l’avenir du pays. Il n’y a pas eu de réaction de la part de tous les partis. J’attends et j’espère qu’ils le feront dans l’avenir proche.

JOURNALISTE : Nous avons un nouveau gouvernement aux Etats-Unis. Vous avez eu vos premiers contacts avec M. Flynn, lequel a quitté entretemps le gouvernement car les choses évoluent très vite.

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : J’espère que l’on n’impute pas cela à moi…autrement dit qu’il est parti à cause de moi.

JOURNALISTE : Je n’ai pas dit cela. Quelle a été votre impression concernant ce qu’ils pensent de la région ?

Ν. KOTZIAS : Lors de mes contacts avec les Américains, nous les avons rencontrés quatre fois - je parle des membres du cabinet de Trump - au cours de la période préélectorale ainsi qu’en janvier qui était la dernière fois, je n’ai pas discuté des questions gréco-turques, comme certains le pensent ou de la question chypriote.

Je ne leur demande pas des médiations, de relations de dépendance ou leur point de vue. J’ai discuté de la région. Et j’ai souligné, car j’essaye toujours de souligner l’agenda positif qui existe pour la Grèce, le rôle majeur que joue la Grèce et sa diplomatie et ses autres activités en faveur de la stabilité de la région, c’est-à-dire que nous sommes un acteur qui promeut la sécurité et la stabilité en Méditerranée orientale.

Un acteur qui, libre de préjugés, établit des coopérations en vue de promouvoir cette forme de stabilité et de sécurité. Le deuxième dossier que nous avons abordé en détail avec eux était leurs « questions », entre guillemets, concernant la direction vers laquelle se dirige l’UE. J’ai eu le sentiment que l’UE était un sujet assez inconnu pour l’équipe de Trump ou qu’ils n’étaient pas sûrs de ce que voulaient exactement les Européens. Ils ont l’impression que les Européens se plongent de nouveau dans le nationalisme. Force est de signaler que les Allemands sont toujours une source de préoccupation pour les Américains et cela est devenu évident par leurs déclarations. Lors du débat qui a été engagé – nous avons parlé deux fois – dans le cadre du Conseil des ministres des Affaires étrangères et lors d’un dîner concernant l’Amérique, je leur ai dit deux choses :

Premièrement, qu’au lieu de s’occuper de ce que veut ou ne veut pas Trump – car d’après ce que j’ai personnellement constaté, ils n’ont pas un aperçu clair de l’UE – ils devraient exprimer leur point de vue, autrement dit, ils devraient « imprégner » l’administration américaine de l’opinion qu’ils aimeraient qu’elle se fasse d’eux.

JOURNALISTE : Est-ce qu’il existe en ce moment quelqu’un aux Etats-Unis qu’il s’occupe de la Grèce ? Car avant c’était Biden et d’autres. Est-ce qu’il existe actuellement un interlocuteur qui soit un véritable acteur ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Une grande partie de l’équipe de Trump s’occupe de la Grèce car ils sont des Américains d’origine grecque et la Grèce les intéressent beaucoup. Le ministre des Affaires étrangères n’a pas encore nommé un secrétaire général ou un secrétaire d’Etat adjoint en charge de la région de l’Europe du Sud-est, comme l’était Victoria Nuland dans le passé. Je pense que cela est dû au fait qu’ils ont besoin du temps pour voir quelle sera la répartition des compétences au sein de l’équipe de Trump. Ils ne l’ont pas encore fait.

JOURNALISTE : On imagine que cette coopération avec le gouvernement grec concernant la base militaire de Souda sera poursuivie. S’il y a une demande pour la concession de plus de facilitations ou éventuellement de bases dans le cadre de la guerre contre l’EI, quelle sera la réponse de la Grèce ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Ils devront dire ce qu’ils veulent, leurs motifs et ce qui sera obtenu en contrepartie.

JOURNALISTE : Est-ce qu’il existe un débat de ce genre? Est-ce que cela a commencé ou pas encore ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Non, aucun débat de ce genre n’a commencé avec la nouvelle administration et d’après ce que je sais, ni le ministère de la Défense nationale n’a commencé un tel débat.

JOURNALISTE : Pensez-vous que cette relation entre la Turquie, Erdogan et Trump, pourrait devenir une relation étroite ? Car il existe à ce jour certaines indications allant dans ce sens.

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Je pense qu’ Erdogan qui est par sa nature un homme nerveux, a baissé le ton à l’égard des Etats-Unis. Je vous rappelle qu’Erdogan avait accusé Trump de racisme à cause des déclarations de ce dernier sur un soi-disant danger islamique et sur les Musulmans. De surcroît, il faut aussi signaler qu’Erdogan figurait parmi le petit nombre de dirigeants du monde islamique à ne pas avoir dénoncé la décision de Trump de suspendre les visas pour sept pays.

Par conséquent, on voit qu’Erdogan fait preuve de plus de prudence par rapport au passé tout en ayant toutefois crée des impressions négatives héritées des attaques menées contre Trump et il espère établir à long terme de meilleures relations entre les Etats-Unis et la Turquie. J’ai le sentiment que cette retenue dont fait preuve la Turquie ne durera pas longtemps.

Autrement dit, dès que Trump fera un geste contraire à leurs aspirations, concernant par exemple les relations entre les Etats-Unis et les Kurdes, il y aura une réaction un peu nerveuse de la part de la Turquie.

JOURNALISTE : Pensez-vous que le scénario d’après lequel dans un moment de tension avec la Grèce ou avec l’Europe, le « robinet » des réfugiés s’ouvrira de nouveau, pourrait être matérialisé ? Ou pensez-vous que cela ne se produira pas dans l’avenir proche ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Je pense que la Turquie ne cesse de rappeler sa capacité à laisser passer les migrants vers l’Europe. L’Europe doit rappeler trop souvent la dépendance économique de la Turquie de l’UE. Nous ne le faisons pas. Même dans les journaux grecs, on parle des capacités de la Turquie à exercer des pressions sur nous, à nous faire des chantages, à laisser les réfugiés entrer en Europe. Très rarement on lit dans la presse combien la Turquie a besoin de l’union douanière et de sa dépendance économique de cette dernière, notamment en une période où son économie est en récession avec plusieurs problèmes sociaux.

JOURNALISTE : Comme vous le savez, des choses ont été dites sur votre attitude à l’égard de la question chypriote, à savoir que vous aviez une attitude différente de celle du Président de la République de Chypre et que vous vous êtes placé au-delà des « lignes rouges » que vous aviez définies concernant la présence de l’armée turque. Est-ce que cela est valable ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Je pense que certains ont été surpris car ils avaient l’habitude de négocier en excluant d’emblée de la négociation – et cela est arrivé deux fois dans le passé –les garanties et la sécurité au motif que les Turcs ne l’accepteraient et n’en discuteraient jamais. Je pense qu’avec la politique que nous avons suivie et il s’agit d’une politique commune – j’ai lancé cette politique en tant que politique à caractère thématique il y a deux ans, en mars 2015, et cette politique a été adoptée et renforcée par M. Anastassiadis, dès l’été 2015 – nous avons emprunté le même chemin et avons pu pour la première fois soumettre cette question majeure portant sur la sécurité de Chypre, sur la présence de l’armée d’occupation et le système des garanties à la table des négociations.

Et la deuxième chose à laquelle nous sommes parvenus ensemble est de faire comprendre aux acteurs étrangers, à l’UE, et même aux Britanniques, aux Américains, aux Russes, etc., l’importance de cette question pour le dossier chypriote et de faire aussi en sorte que la Turquie accepte elle-même de discuter de ces questions.

Mais, attention, la Turquie comprend que cela est son point le plus faible concernant Chypre. Et il s’agit d’un point – il faut que vous reteniez ce que je veux vous dire – à l’égard duquel soit elle consentira à un véritable compromis et à des concessions soit elle l’utilisera comme motif pour rompre la négociation.

La Turquie, donc, comme elle n’a pas encore décidé – au moins jusqu’à la tenue du référendum – de la manière dont elle gèrera la question des garanties et de la sécurité ou si elle va consentir à la suppression de la question des garanties et de la sécurité, essaye de soulever des questions intermédiaires dans le but de désorienter le débat.

Par exemple, nous sommes partis de Genève, tout comme M. Çavuşoğlu et M. Akinci hier. M. Çavuşoğlu est parti, il est rentré à Ankara et il a commencé à m’accuser d’avoir été absent de la discussion et je lui ai répondu que j’étais toujours ici à Genève et que nous étions en train de discuter de la question chypriote. Ils ont une certaine difficulté. Ils ont donc soulevé une nouvelle question, les quatre libertés pour les Turcs. Ils n’ont jamais soulevé cette question en utilisant cette formulation. Pourquoi ont-ils soulevé cette question ? Ils l’ont fait dans l’espoir qu’Anastassiadis soit obligé de ne pas l’accepter et interrompe la négociation à ce stade – et non pas qu’elle soit interrompue au point qu’ils craignent le plus, c’est-à-dire les garanties et la sécurité, et qu’ils ne peuvent étayer par une argumentation solide, soit que cela soit accepté et qu’ils fassent les Chypriotes et la Grèce se quereller avec l’Union européenne, lorsque l’on sait que Mme Merkel ne peut pas accepter cela. Elle peut accepter des modifications à l’union douanière mais pas cette question, et d’autant plus en cette période préélectorale pour l’Allemagne.

Je vois actuellement qu’ils suivent une stratégie visant à faire accumuler des questions dans la négociation intérieure sur le dossier chypriote en vue de mettre fin à la négociation. Le parlement de Chypre a émis une décision, que le référendum de 1950 soit enseigné dans les cours d’histoire des enfants des Chypriotes grecs à Chypre comme un aspect de l’histoire, dénué de toute nuance négative ou positive.

Ce n’est pas à moi d’évaluer les décisions de la République de Chypre. Je dirais toutefois une chose : une référence à un fait historique bien réel a fait la Turquie quitter la négociation et a donné lieu à de vives réactions de sa part, ce qui lui a servi non seulement pour montrer qu’elle peut facilement rompre la négociation mais aussi pour affirmer que « les Chypriotes grecs sont toujours favorables à l’union [avec la Grèce] et puisque ils y sont, l’armée d’occupation turque doit rester sur l’île », en tant que partie du soi-disant règlement de la question chypriote.

Je pense qu’une partie de la presse grecque aussi a, à tort, rapporté qu’il y avait des différences d’opinion entre Chypre et la Grèce alors qu’il y a une convergence de vues et c’est justement cela que voulaient les Turcs ou qu’ils voulaient présenter comme étant la réalité, c’est-à-dire qu’il y a une divergence de vues entre les deux parties. Il y a bien évidemment toujours une discussion et un échange de vues et je pense que c’est justement en cela que réside la force de notre relation avec Chypre.

JOURNALISTE : Ce que je comprends tout simplement c’est que s’il y avait une différence d’opinion, celle-ci résidait sur le fait que vous étiez immuable dans votre position, à savoir que toute l’armée turque devait se retirer de l’île dès le premier jour, alors que le Président Anastassiadis acceptait que l’armée se retire au bout d’un certain délai ou….

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Non, non. Cela n’est pas vrai.

JOURNALISTE : C’est le premier qui n’est pas valable.

Ν. KOTZIAS : Que les soldats turcs devraient quitter l’île dès le premier jour ? Il s’agit d’une « interprétation a posteriori » de ce que je dis. Laissez-moi vous dire comment a commencé la discussion. J’ai fait ma première visite aux Etats-Unis. Je me suis entretenu avec M. Kerry, Mme Nuland, Mme Rice, la Conseillère à la sécurité nationale. J’ai rencontré leurs think tank et après j’avais une rencontre avec le Secrétaire général de l’ONU.

En sortant du bureau du Secrétaire général de l’ONU, un journaliste turc me pose de manière agressive la question suivante : « Pourquoi nous, Turcs, sommes-nous pressés de régler la question chypriote et vous, vous n’êtes pas du tout pressés ? ». Et je lui ai répondu : « Mais si vous êtes pressés, vous n’avez qu’à retirer votre armée et partir ». C’était la première fois que j’ai exprimé une position élaborée par moi personnellement en concertation avec le Premier ministre et bien évidemment avec les services ici.

La deuxième chose que nous avons affirmée était que ces armées devaient se retirer et ne pas rester sur l’île –indépendamment du soutien des Turques ou d’autres facteurs quant à combien de temps encore ils devront rester- car nous avons dit à tous que le retrait d’une armée d’occupation devrait se faire conformément à un processus et à un calendrier.

Mais ce qui les contrariait était le fait qu’il y avait un délai, autrement dit une date à laquelle toutes les armées devraient quitter l’île. Comme vous vous rappelez, les Turcs discutaient, dans le cadre du Plan Annan, de l’éventualité de maintenir une partie de leur armée qui pourrait jouer le rôle de base militaire. Une base signifie des droits souverains, ZEE, espace aérien, etc.

Troisième chose, j’ai fait une proposition très spécifique que j’ai remise à tout le monde. Elle n’a jamais été publiée. C’était concernant le flux. C’est-à-dire la façon dont ce retrait aura lieu et le statut de ce flux. Concernant le statut, c’était après un an et demi que j’ai pu en parler. Pour ce qui est du flux, nous avons dit qu’au cours de la première semaine devrait se retirer la plus grande partie de l’armée et par la suite il y aurait un flux de retrait normal en fonction aussi de leurs capacités techniques de se retirer et de leurs capacités techniques de transporter cette armée en face.

Car force est de rappeler que l’Union soviétique avait consenti au retrait de l’armée d’occupation, armée de libération pour nous les partisans de la gauche, tandis que du point de vue juridique, c’était une armée d’occupation. Elle avait consenti au retrait de l’Allemagne de l’Est. Selon l’accord, le délai était 4 ans. Et, de plus, au lieu de se retirer en décembre 1994, ils sont finalement partis en septembre 1994, trois mois plus tôt de ce que prévoyait l’accord. Cet accord, nous l’avons étudié – et je suis très fier de notre ministère – pour la première fois tous les accords internationaux, les conventions internationales, les pratiques politiques, pour ce qui est des questions liées aux garanties, à la sécurité et au maintien des armées.

L’exemple le plus proche de notre cas, pour ce qui est du retrait des armées, a été le retrait de l’armée soviétique de l’Allemagne de l’Est. Ils ont conclu un accord concernant le retrait. Cet accord porte un nom. Dans le texte anglais qui n’est pas l’original, car le texte a été rédigé en allemand et en russe, le titre était « Accord de stationnement ». Dans le texte original, le texte allemand – j’ai lu le texte en anglais et par la suite en allemand pour en vérifier l’exactitude – le titre était « Accord de stationnement provisoire » et certains de nos associés ont fait aussi la traduction à partir du texte russe et le titre était « Accord de stationnement provisoire ». Autrement dit, l’accord dit que l’armée se retire, mais jusqu’à ce que toute l’armée se retire, il y aura une partie de cette armée qui ne sera plus une armée servant de garantie ni une armée qui se maintiendrait, mais une armée en voie de retrait et qui serait provisoirement stationnée. C’est-à-dire, il y avait 100 000 soldats, il en reste 50 00. 20. C’est l’Union soviétique qui a fait cela.

Il y a une différence au niveau du statut juridique. Les Allemands à l’époque avaient imposé l’application du droit allemand au sein de l’armée, de l’armée soviétique. Les Chypriotes ne demandent pas cela. Mais l’armée doit se retirer.

Il existe trois principes fondamentaux : Premièrement, l’armée doit se retirer à une échéance brève et raisonnable. Deuxièmement, au cours du retrait, l’armée qui reste chaque fois est provisoirement stationnée et ce caractère provisoire est lié au processus de retrait et non à des droits provisoires sur Chypre. Et troisièmement, il ne faut pas qu’il y ait de reconstruction. C’est-à-dire il ne faut qu’une partie de l’armée en voie de retrait soit maintenue pour reconstruire une base. Pas de reconstruction. Car dans ce cas, on irait vers la mise en œuvre du plan des Turcs qui consiste à faire retirer la plus grande partie de l’armée et à construire une base.

Ni le gouvernement chypriote, ni nous, n’acceptons la construction d’une base. Et nous nous sommes mis d’accord lors d’une rencontre à Bruxelles sur le processus de retrait. C’est-à-dire certains se fâchent facilement, ils n’ont pas de la patience. En outre, si vous me le permettez, je dois aborder deux questions.

Premièrement, ils disent que l’opinion que nous soutenons, Chypre et moi – mais pour ne pas s’attaquer au gouvernement chypriote, ils m’attaquent moi – concernant le retrait de l’armée turque, revêt un caractère nationaliste. Est-il nationaliste celui qui demande le retrait de l’armée d’occupation ? Demander le retrait des nazis de la Grèce était-il un geste nationaliste ? Demander le retrait des fascistes italiens était-il un geste nationaliste ? Demander le retrait des Russes, des Soviétiques de l’Allemagne, était-il un geste nationaliste ? Non, cela est faux. Je le répète encoure une fois en public : On doit être patriotes mais sans être nationalistes. Être patriote signifie que l’on considère notre patrie comme un grand pays. Les nationalistes sont ceux qui se plaignent, qui profèrent des insultes, qui méprisent le pays de l’autre et qui n’acceptent pas les droits patriotiques de l’autre.

Donc, oui au patriotisme et non au nationalisme qui méprise les autres peuples, d’autres races etc., et non à l’adoption de son propre nationalisme. C’est-à-dire lorsque la Grèce et Chypre disent que les Turcs doivent partir et ces derniers disent qu’ils veulent rester, qualifier cette demande de retrait des armées étrangères de Chypre de nationaliste et ne pas qualifier de nationaliste la volonté des Turcs d’avoir des troupes en stationnement dans un pays tiers, indépendant et souverain qui est un Etat membre de l’UE, est une grande erreur.

De ce point de vue, ils ont frappé le bât pour pouvoir frapper l’âne aussi. Le gouvernement grec n’est jamais intervenu dans les aspects intérieurs du dossier chypriote. Les chefs des partis AKEL, DISI, l’ont également affirmé, la Grèce n’a jamais exprimé son point de vue à cet égard.

Il faut que vous sachiez que moi, en tant que scientifique et spécialiste de la question chypriote, j’ai une opinion à l’égard de nombreuses questions liées à l’aspect intérieur. Je n’ai dit mon point de vue à personne, car je sais que si je le fait, cela sera rendu public. Nous n’avons parlé que de la question qui relève de notre compétence. Les garanties et la sécurité. Car nous sommes engagés vis-à-vis du droit international à travers les trois accords internationaux, le Traité de garanties et le Traité sur la sécurité et la coopération, les traités de Zurich et de Londres. Nous faisons partie de ces accords et nous devons voir ce que nous allons faire de ces accords.

JOURNALISTE : De toute façon, en ce moment, il paraît que le processus n’avance pas. Et ceux qui connaissent les choses, pensent que rien ne va se passer. Est-ce que cela comporte certains dangers ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Premièrement en ce moment, on voit que les Turcs ces dernières semaines essayent de trouver un prétexte pour ne pas faire avancer la négociation. Il s’agit du même comportement adopté à Genève. C’est-à-dire M. Çavuşoğlu est parti en disant même, ce qui est bien étonnant, qu’il avait des affaires plus importantes à gérer, alors que la réunion de Genève était prévue pour jeudi et vendredi, selon ce qui avait été consigné dans les textes rédigés par Eide, par le Secrétaire général de l’ONU. Il était prévu d’avoir une consultation politique. Tout d’un coup, jeudi soir, ils ont dit, à l’encontre des Chypriotes et de nous, qu’il fallait organiser le jour suivant une discussion technique.

Je leur ai répondu que pour pouvoir mener une discussion technique il fallait tout d’abord engager un débat politique sur ce que nous voulions. Et une fois que nous aurions défini ce que nous voulons…M. Çavuşoğlu est donc parti. Son départ était prévu car il ne peut pas négocier ou il ne pouvait pas à ce moment-là négocier, il n’avait pas reçu l’autorisation…

JOURNALISTE : N’est-il pas vrai que M. Tsipras ne voulait pas aller [à la réunion] avec M. Erdogan et c’est pourquoi la réunion ne s’est pas tenue au niveau élevé?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Non, non. Mais pour tenir une réunion au niveau élevé… Mais laissez-moi finir avec la première partie de la question. M. Çavuşoğlu est donc parti et il a dit que la Grèce ne pouvait pas négocier. Et cette affirmation a été reproduite par une partie de la presse, ce qui n’est pas bien. Maintenant, quand est-ce que M. Tsipras s’entretiendra avec le premier ministre ou le Président de la Turquie sur le dossier chypriote ?

Lorsque nous aurons préparé les textes et les solutions. Lorsqu’il y aura une probabilité estimée à 90% de parvenir à une solution. Car si le chef du système politique de notre pays rencontre le chef du système politique turc, quelle que soit sa forme, et ils ne se mettent pas d’accord, la négociation ne pourra pas être poursuivie.

Et, de plus, à Chypre on me crédite à raison le fait que j’ai dès le début fait l’ONU s’engager sur le fait que cette négociation serait un processus ouvert afin que, en cas de rupture sur certains points, la négociation ne soit pas considérée comme une affaire terminée.

Sinon on aurait deux maux. La négociation serait considérée comme non aboutie et on aurait dit que les dirigeants n’ont pas réussi à la mener à bien. C’est pourquoi je garde la négociation ouverte. Maintenant…les Turcs ont peur. S’ils ne sont pas prêts à renoncer au système des garanties, ils ne voudront pas que la négociation soit rompue à cause de cela, car ils seront exposés.

C’est-à-dire, qu’est-ce qu’ils demandent ? Ils demandent le droit légal de faire ce qu’ils ont fait en 1974. Autrement dit, d’intervenir à Chypre comme bon leur semble. Et ils demandent à la Grèce et à Chypre mais aussi à l’UE d’accepter cela. Et ils comprennent que cela ne sera pas possible. Et ils essayent à travers des frictions d’obtenir des droits concernant d’autres questions afin de parvenir, à leur sens, à un meilleur compromis, ou, si cela n’est pas le cas, ils cherchent à rompre la négociation en s’opposant à d’autres questions à l’égard desquelles il n’est aussi évident, aux yeux de la communauté internationale, qu’ils ont tort de s’y opposer.

JOURNALISTE : Est-ce que la procédure risque de s’enliser ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Ce n’est pas bien lorsque la procédure s’enlise et nous devons la garder vivante. C’est pourquoi je me suis mis d’accord sur une deuxième conférence internationale de type « Genève II » que les deux interlocuteurs à Chypre ont proposé, à savoir le président de la République de Chypre et M. Akıncı, représentant de la communauté chypriote turque, malgré le fait que je pense que jusqu’à la tenue du référendum, il sera difficile pour la Turquie de décider si elle veut parvenir ou non à un compromis.

JOURNALISTE : Des scénarios de type annexion de la Crimée ou quelque chose du genre vous préoccupent-ils ou bien ce sont des scénarios dignes d’un film de science fiction ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Ici, au ministère des Affaires étrangères, nous étudions tout ce que nous entendons, le moindre mot, d’où qu’il provienne. Concernant l’annexion, j’aimerais avant tout vous dire que j’ai été étonné par le fait que quand les Chypriotes turcs annoncent qu’ils vont annexer la partie occupée au nord de Chypre, personne ne fait les mêmes commentaires que pour le référendum du parlement chypriote, pour l’union de 1950. Autrement dit, les Turcs essaient d’instaurer l’atmosphère suivante : la référence d’un événement historique dans les livres est plus dangereuse que les déclarations que font, par exemple, le pseudo-premier ministre de la partie occupée, disant que nous serons annexés de la Turquie. Nous devons le souligner, que ce sont eux qui sont alarmistes. Deuxièmement, je ne pense pas que la majorité des Chypriotes turcs soit disposés à être intégrés en Turquie comme le « parent pauvre » et à disparaître par la suite. Troisièmement, je ne pense pas que la Turquie s’intéresse à l’annexion de la partie nord de Chypre. Elle s’intéresse davantage à résoudre le problème ou à trouver un moyen de contrôler toute l’île du point de vue géostratégique. Et pourquoi les annexer? Et dernier point. La position historique, diplomatique, juridique de la Turquie sera fortement affaiblie – de mon point de vue personnel – si les discussions ne se passent pas bien. J’espère et nous nous employons à ce que les discussions se passent bien. La Turquie ne fera pas d’annexion, du moins dans un avenir proche. Cela n’est pas dans son avantage et cela engendrera des questions juridiques supplémentaires. Le discours alarmiste au sujet de l’annexion est davantage dit pour que soit acceptée la pression exercée sur la partie chypriote et son retrait requis par différentes puissances.

JOURNALISTE : En conclusion, car je suis sure que cette interview sera regardée de l’autre côté de l’Egée.

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Je parle toujours en sachant très bien que l’on m’entend.

JOURNALISTE : Quel message transmettez-vous à Ankara ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Nous sommes le meilleur voisin qu’ils pourraient avoir. J’espère qu’ils deviendront aussi le meilleur voisin.

JOURNALISTE : Merci beaucoup.

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Merci et bonne soirée.